La musique symphonique attire les grandes foules à Alger. Mercredi soir, à la clôture du 4e Festival international de la musique symphonique, la salle du Théâtre national Mahieddine Bachtarzi d'Alger était archicomble. Une bonne partie des spectateurs a suivi le concert debout. Reste que les mauvaises habitudes peuvent perturber une soirée. Le maestro japonais Hikotaro Yazaki, qui a dirigé l'orchestre multinational, s'est plaint en live. Au bout du deuxième mouvement de la 7e symphonie de Ludwig Van Beethoven, Hikotaro Yazaki s'est retourné pour dire en français : «Eteignez vos portables ! C'est la quatrième fois que je reviens en Algérie. Et à chaque fois, c'est le même problème.» A la fin du spectacle, Khalida Toumi, ministre de la Culture, est montée sur scène pour présenter des excuses publiques à l'ancien chef d'orchestre symphonique de Tokyo. «Nous sommes en train d'apprendre votre musique. La nôtre est la musique classique andalouse. Je vous promets que l'année prochaine, aucun téléphone portable n'entrera en salle», a déclaré Khalida Toumi. Mais il n'y avait pas que les cellulaires qui sonnaient ! Dans les couloirs, on parlait à haute voix. En salles, des bébés pleuraient et des dames ne trouvaient aucune gêne à continuer à discuter. Cela ne doit exister qu'en Algérie ! Un pays où l'on adore ramener les enfants en bas âge aux soirées, où l'on parle pendant les spectacles comme dans un café ou dans une cérémonie de mariage, et où on se lève à tout moment pour revenir le moment d'après ! Pourtant, dans la tradition andalouse et châabie en Algérie, on écoute en silence les concerts pour mieux apprécier. Une consoeur nous a confié que par le passé, Fadéla Dziria et El Hadj M'hamed El Anka n'aimaient pas du tout entendre du bruit lors de leurs spectacles. En coulisses, Hikotaro Yazaki a regretté, en termes diplomatiques, cette indiscipline. Bref. La soirée a débuté avec l'exécution de la 7e symphonie de Beethoven. Le pianiste de génie allemand avait composé cette symphonie à 41 ans en 1811 en Bohême. Il était déjà souffrant. Très classique, cette symphonie est structurée en quatre mouvements : Poco sostenuto, Allegretto, Presto et Allegro Con Brio. Elle est jouée pour la première fois à Vienne en 1813. Fraternité Beaucoup de cinéastes et de documentaristes ont utilisé cette symphonie gorgée de sagesse et de poésie dans leurs œuvres, à l'image de Edgar Ulmer dans Le chat noir, John Boorman dans Zardoz, Claude Lelouch dans Les Uns et les Autres et Tarsem Singh dans The Fall. Avec beaucoup de maîtrise, l'orchestre mené par Hikotaro Yazaki, a exécuté cette symphonie communicant toute la densité de l'œuvre musicale de Beethoven. Formé aux côtés de maîtres connus de l'art de direction d'orchestres tels que le Tchèque Zdnek Kosler, l'Autrichien Hans Swarowsky et l'Italien Franco Ferrara, le maestro japonais a eu à diriger par le passé l'Orchestre de Radio Norvège, le Royal Philharmonic de Londres, les orchestres de la BBC et le Bangkok Symphony Orchestra. Cet ambassadeur culturel du Japon, titre attribué par le gouvernement, a, à la fin de la soirée, dirigé plus de 200 personnes sur scène, entre musiciens et choristes, pour le célèbre quatrième mouvement, le Finale, de la neuvième symphonie du même Beethoven, sans doute la plus belle et plus élaborée de toute l'œuvre du compositeur allemand. C'est même «la dernière des symphonies», selon Richard Wagner, autre monument de la musique classique européenne. Beehtoven avait conçu cette symphonie, cinq années avant sa mort, pendant 24 mois à partir de 1822. En 2003, l'Unesco a acquis la partition manuscrite de la 9e symphonie pour la classer au registre Mémoire du monde. L'hymne à la joie, poème écrit par l'Allemand Friedrich Von Schiller accompagne le quatrième mouvement de la 9e symphonie. D'où sa célébrité. «Qu'ils s'enlacent, tous les êtres ! Ce baiser au monde entier ! Frères, au plus haut des cieux doit habiter un père aimé. Tous les êtres se prosternent ? Pressens-tu le créateur, Monde ? Cherche-le au-dessus des cieux d'étoiles ! Au-dessus des étoiles il doit habiter. Joie ! Belle étincelle des dieux. Fille de l'Elysée, Soyez unis êtres par millions ! Qu'un seul baiser enlace l'univers !», avait écrit Friedrich Von Schiller en 1785. L'hymne à la joie, qui célèbre la fraternité et l'amitié entre les peuples, est l'hymne officiel de l'Union européenne. Un chœur constitué d'artistes algériens, tunisiens, égyptiens, syriens et ukrainiens a interprété ce texte en présence des chanteurs d'opéra japonais Atsushi Kaichi (ténor), Marie Kobayashi (mezzo-soprano) et Sayaka Hyodo (soprano). Le baryton uruguayen Alvaro Vallès a participé également au spectacle. Mercredi soir, la pluralité culturelle, qui était sur scène était le meilleur hommage rendu à l'idéal qu'avait voulu défendre Beethoven, l'humanisme. Abdelkader Bouazzara, commissaire du Festival, et Aziz Hamouli, qui a dirigé la chorale, ont réussi leur pari de célébrer Beethoven et de faire du Festival international de musique symphonique un lieu d'échanges et de dialogue artistiques.