-Le secteur agricole a été marqué durant l'année 2012 par plusieurs événements, à commencer par la hausse des prix à l'importation, l'Algérie étant un grand importateur de produits agricoles de large consommation comme les céréales, le lait ou les oléagineux. Dans ces conditions, n'est-ce pas la sécurité alimentaire qui se fragilise un peu plus en Algérie ? Sécurité alimentaire dites- vous ? Il faut parler plutôt de dépendance alimentaire qui avilit chaque année notre pays. Je suis triste d'avoir vécu de mon vivant la descente aux enfers de l'agriculture algérienne. Il est vrai que les responsables qui ont géré ce pôle nourricier n'ont qu'un seul argument valable matérialisé par une croissance démographique au triple galop. Il y avait 9 millions d'algériens en 1962 et on parle d'ici peu de 40 millions d'âmes. Aucun pays au monde n'a vu sa population quadrupler en 50 ans. Pour l'exemple, la population française en 1911 était de 40 millions d'individus. En 2012, elle n'est que de 65 millions d'âmes. Si la France avait vécu le même rythme de progression, on compterait en 2012 plus de 160 millions de Français !... Le rapport est énorme et justifie que les structures agricoles algériennes sont d'une façon endémique essoufflées et à bout de course. Mais, il n'y a pas que ce facteur limitant. Force est de constater que les différentes politiques agricoles n'ont été qu'une succession de tâtonnements qui ont mené notre pays à cette situation de fragilité. On se contente d'organiser une cérémonie pour fêter le club des céréaliers qui ont réussi «la prouesse de réaliser 50 quintaux à l'hectare !». Sans incriminer personne, ce rendement est normal, on réalise dans la plaine de la Beauce des rendements record de 120 quintaux à l'hectare. Pour faire court, si les 3,5 millions d'hectares dévolus aux céréales chaque année produisaient chacun 50 quintaux, le pays deviendrait exportateur de cette denrée et ferait de l'Algérie le fer de lance des pays émergents ! Bref, je ne suis qu'un acteur qui a vécu dans sa chair la déstructuration planifiée de l'agriculture algérienne. Alors, vous comprendrez que les prix agricoles vont continuer leur course folle vers des cimes où, pour ne prendre qu'un exemple, l'œuf, qui est la viande du pauvre et s'écoulait en Algérie à 0,4 centimes en 1989, caracole en 2012 à plus de 10 dinars. -Et sur le marché international, quelle serait la tendance de la disponibilité et des prix des matières premières agricoles durant 2013, tenant compte de la crise en Europe, le changement climatique, les prix des produits énergétiques, etc ? Le postulat est simple et ne souffre aucune ambiguïté. Les intérêts et les préoccupations des uns et des autres sont diamétralement opposés. Alors que des pays souffrent de malnutrition, où la famine menace, d'autres pensent occuper les terres fertiles en cultures pour produire du carburant pour faire fonctionner leurs berlines. De plus, ces cultures viennent en concurrence avec les produits de base nécessaires à la survie de millions de personnes. Les intérêts sont divergents, à tel point que l'on arrive à déplacer le curseur de la notion même du développement. Cette dichotomie va aggraver encore les échanges économiques et principalement celui des denrées agro-alimentaires. Sans nul doute que 2013 s'annonce, à mon point de vue, très difficile, voire catastrophique. La mercuriale des céréales de Chicago ne se base plus sur les besoins des pays demandeurs, mais se préoccupe en premier lieu de trouver un dérivatif au pétrole qui empoisonne les relations internationales. Dans un avenir proche, le monde sera dominé par les pays qui auront acquis l'arme verte. Le pétrole ne perdurera pas longtemps dans sa position actuelle et je crains que les prix vont s'effondrer. La conséquence serait un dérèglement total de la demande alimentaire mondiale en oléagineux et en céréales. L'Algérie, parent pauvre et importateur endémique, a des soucis à se faire. Les viandes blanches vont subir - c'est déjà le cas - le contrecoup de ce dérèglement, et des faillites dans le secteur ne seront pas à exclure. -L'agriculture a figuré parmi les secteurs concernés par les accords de coopération signés entre l'Algérie et la France lors de la visite du président Hollande à Alger. Les Français sont-ils réellement prédisposés à contribuer au développement de l'agriculture en Algérie, alors qu'à présent elle est le principal marché africain pour le produit agro-alimentaire français ? De la poudre aux yeux et surtout une immense arnaque. Pour avoir collaboré un temps avec une société exportatrice de céréales vers l'Algérie, pour ne pas la citer «Delta Céréales», je peux d'ores et déjà annoncer que le seul souci de nos amis français est de nous vendre ce que nous consommons en céréales. L'enjeu frôle tout de même les 5 milliards de dollars par an ! Ce n'est pas négligeable. Il serait, à mon sens, plus utile de leur proposer des contrats gagnant-gagnant en invitant, par exemple, des céréaliers de terrain à venir en Algérie pour tenter de dupliquer les techniques culturales qui ont cours en métropole. On assiste depuis quelques années à une nouvelle technique qui semble faire ses preuves, le semis direct sans labour. C'est une avancée gigantesque dans ce domaine. Plus besoin de meurtrir chaque année le sol sur 50 cm avec des engins difficiles à trouver en Algérie. On n'ameublit que l'endroit exact où sera déposée la graine et on ne perturbe pas la richesse organique du sol. Les céréaliers français savent faire cela et ce n'est pas du tout utopique de réaliser un tel projet. A la place, on a assisté à une visite de patrons français venir nous déclamer : «si l'Algérie a besoin de céréales, on sera toujours là» ! Un dicton chinois viendra clore cette question : «Ne me donnez pas de poisson, apprenez-moi plutôt à le pêcher». -La politique de renouveau agricole et rural, elle aussi, vient de boucler sa 4e année de mise en œuvre. Quelle en est votre appréciation ? Nous avons tous pris note du communiqué présidentiel qui a été émis lors de la Conférence nationale sur le Renouveau agricole et rural, le 28 février 2009, à Biskra. Les trois piliers de cette recommandation s'articulaient sur trois points névralgiques : le renouveau agricole, le renouveau rural et le renforcement des capacités humaines et de l'appui technique aux producteurs. Force est de constater, encore une fois, que la réalisation sur le terrain laisse à désirer. De renouveau agricole, on n'a perçu que des balbutiements synonymes de coups d'épée dans l'eau. On a juste tenté d'officialiser le bradage des terres agricoles au profit de nouveaux spéculateurs. Une information récente fait état de dilapidation de 300 ha de terres arables à Sétif pour ériger une boulangerie industrielle, un hôtel et une station-service. C'est un crime. On a également officialisé ce que j'appelle un vol caractérisé. Les bénéficiaires d'EAC et EAI peuvent désormais céder des terres légalement et surtout dans un cadre qui relève de l'imposture, à la faveur de la loi 10-03 de 2010 sur les terres agricoles du domaine privé de l'Etat. Il n'y a qu'en Algérie que l'on trouve une telle turpitude. On va assister dans les années à venir à de réelles tensions dans le monde rural. Un exemple récent nous rappelle la triste réalité. Il s'agit des anciens agriculteurs qui nous quittent et laissent souvent une descendance désintéressée par l'agriculture. A Hassi Mamèche, (Mostaganem) des héritiers ont cédé pour 30 millions DA 2 hectares de terres arables à un promoteur. Dès que le bulldozer a commencé sa triste besogne, tout le village s'est soulevé. Il n'est pas exclu que l'on assiste dans les années à venir à des jacqueries importantes dans nos campagnes. Et cela ne semble pas préoccuper outre mesure les responsables du secteur. Le renouveau rural peut attendre. Le renforcement des capacités humaines et l'appui technique, lui, se résume à quelques journées de vulgarisation, mais là, on ne fait que défoncer des portes ouvertes. Lorsqu'il faut constituer un dossier d'une tonne ou se faire assister par une ponte du régime pour obtenir un crédit, les vulgarisateurs ont beau tenter de passer un message technique, il se diluera dans l'air du temps comme se sont diluées toutes nos chimères. -Le ministère de tutelle a annoncé plusieurs projets d'investissement, notamment en matière d'irrigation ou le développement rural. Peut-on dire que l'agriculture algérienne entame sa phase de relance ? L'agriculture algérienne est, depuis 50 ans, dans sa phase de relance. C'est à croire qu'elle peine à démarrer ! Deux problèmes perdurent et constituent des freins évidents à toute prétention de relance. Le premier est le problème du foncier. Tant qu'il n'y aura pas de politique cohérente en la matière, le résultat sera toujours déficient. J'en arrive à me dire pourquoi ne pas vendre tout simplement toutes les terres agricoles. Ce serait la solution idéale à mon avis. Bien sûr, il faudra encadrer cette action en définissant par avance les terres arables qui seront inscrites dans le marbre pour des générations et interdites à toute construction non agricole. Le second frein est une conséquence logique du premier. A savoir le statut de l'agriculteur. La mentalité algérienne est singulière en se faisant une idée obsolète et délétère de la profession d'agriculteur ou fellah. Tant que ces idées perdurent, le pays restera toujours tributaire de l'étranger. Observons les pays détenteurs de l'arme verte. L'agriculteur est très souvent le maître du village. Il est souvent député, maire ou même sénateur. L'exploitant céréalier du Middle East américain ou le producteur de canne à sucre du Matto Grosso au Brésil sont des personnes qui comptent dans le paysage politique, alors qu'en Algérie, des porteurs de projets stratégiques n'arrivent pas à avoir accès à un entretien avec le PDG de la BADR. -2012, c'est aussi l'année où l'IGF (Inspection générale des finances) lance des enquêtes sur les subventions agricoles. Qu'en pensez-vous ? Le jour où ces enquêtes dévoileront les vraies saignées provoquées par une telle forfaiture n'est pas encore arrivé. Les fonds dévolus au PNDRA se sont envolés et ne sont pas près à être remboursés. Les auteurs de cette gabegie ne seront nullement inquiétés. Ce seront toujours les lampistes qui trinqueront. Alors que le président de la République avait déclamé solennellement l'effacement des dettes des agriculteurs, de pauvres hères sont actuellement menacés par la BADR pour des questions de remboursement. On assiste à une fuite en avant vers un enrichissement supersonique d'une caste de privilégiés du système qui investissent leur manne dans des pays plus sûrs. Pour clore ce débat, je suis inquiet, à vrai dire très inquiet pour notre pays.