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«Les laborantins d'El Mouradia préparent les instruments politico-juridiques du 4e mandat»
Rachid Grim. Politologue
Publié dans El Watan le 05 - 01 - 2013

Les perspectives politiques de l'année 2013, les enjeux à venir et le rendez-vous attendu : la présidentielle de 2014. Ce sont les questions sur lesquelles s'exprime ici le politologue Rachid Grim. En observateur avisé, notre interlocuteur affirme que «les réformes politiques engagées par Bouteflika» ont bénéficié aux partis au pouvoir et que le régime prépare sérieusement le 4e mandat et les instruments politico-juridiques pour «la succession du président Bouteflika en cas d'empêchement qui surviendrait au cours de cette nouvelle mandature».
- Avant la fin de l'année 2012, une troisième échéance électorale a été organisée, en l'occurrence la sénatoriale. Celle-ci a confirmé la domination des partis au pouvoir, le RND et le FLN, au sein de l'institution parlementaire. Peut-on dire aujourd'hui que ces deux partis ont été les plus grands bénéficiaires des «réformes» engagées par le président Bouteflika ?

Evidemment que le FLN et le RND ont été les seuls vrais bénéficiaires des «réformes» engagées par le président pour, disait-il, élargir la culture démocratique dans le pays et redonner sa place au citoyen. Dès le début, il était évident que ce n'était que de la poudre aux yeux, lancée en premier lieu en direction de l'opinion publique internationale qui, ne l'oublions pas, était à l'écoute de la rue arabe et de ce que, trop rapidement, on avait qualifié de printemps. En second lieu, cette même poudre avait été lancée aux yeux des acteurs politiques algériens, qui ont fait semblant d'y croire. Tous les partis représentatifs avaient applaudi aux réformes du Président, y compris ceux de la mouvance islamiste qui avait cru pouvoir cueillir le pouvoir comme un fruit mûr, assurés qu'ils étaient de l'effet boule de neige des victoires de l'islamisme politique tunisien, égyptien, libyen et marocain. Le credo de l'époque – qui perdure encore aujourd'hui – était que l'islamisme était majoritaire au sein de la société algérienne et allait remporter haut la main toutes les élections si, bien entendu, celles-ci étaient honnêtes. Ce n'est évidemment pas ce qui s'est passé : les réformes et la multitude de partis qui ont été créés à leur suite ont pollué la scène politique et l'ont rendue complètement incompréhensible au citoyen lambda. Et parfois même aux spécialistes. La mouvance islamiste a été celle qui a le plus pâti des réformes. Le MSP, jusque-là parti de gouvernement aspirant à la prise du pouvoir par les urnes, a été laminé d'abord par une crise interne qui l'a fait exploser, ensuite par les résultats des élections qui ont suivi (législatives, APC, APW et sénatoriale). Le parti TAJ, qui avait été créé pour représenter la mouvance et succéder au MSP au sein de l'Alliance présidentielle, n'a pas eu matériellement le temps de se structurer et de «sauver l'honneur» des islamistes. D'autres partis avaient été créés pour jouer les trouble-fêtes et rogner les ailes aux partis de la mouvance démocratique. Du moins à ceux qui tenaient encore la rampe : le RCD et le FFS. Dans ce jeu machiavélique, c'est le MPA de Amara Benyounès qui a raflé la mise, avec l'aide zélée de l'administration. Quant au FFS et au RCD, ils sont restés ce qu'on a toujours voulu qu'ils soient : deux partis kabyles, se contentant de miettes. Avec une palme pour le FFS qui semble avoir vendu son âme pour quelques sièges à l'APN. Ils ont tous deux offert à leurs militants et aux citoyens le spectacle affligeant d'un marchandage de places de président et de vice-président d'APC et d'APW avec le FLN, le RND et même les islamistes de l'AAV. Des marchandages contre nature qui n'avaient d'autre objectif que de s'éliminer l'un l'autre. Il ne reste donc que les deux partis issus de la «famille révolutionnaire» qui ont été les grands vainqueurs des «réformes» du Président. Toutes les élections de l'année 2012 leur ont été bénéfiques : à eux deux, ils ont une majorité écrasante dans toutes les assemblées. Une majorité qui suffit à faire passer toutes les «réformes» que le Président décidera de faire au cours de cette année 2013 et peut-être même au début de l'année 2014, l'année de l'élection présidentielle, la seule qui compte vraiment. Et parmi ces «réformes», celle de la Constitution. La mère des réformes. Celle qui permettra d'assurer une succession qui garantira la pérennité du système en place – un bouteflikisme sans Bouteflika. Ou au moins, une succession qui garantira l'intégrité physique et matérielle du clan.

- Les dernières élections ont également confirmé le statut des partis traditionnels qui ont maintenu leurs positions aux dépens des nouveaux partis qui se sont contentés d'une participation symbolique à cette élection. Pourquoi, selon vous, il n'y a pas eu de reconfiguration de la carte politique ?

J'ai déjà, me semble-t-il, répondu en partie à cette question. Les réformes – loi sur les partis politiques et loi électorale, entre autres – ont volontairement créé un climat propice à la surmultiplication des partis politiques. Non pas des partis politiques avec un projet de société crédible et aussi, surtout, avec de vrais militants, matériellement désintéressés et idéologiquement engagés à faire aboutir le projet pour lequel ils combattent. Or, les nouveaux partis, à l'instar de beaucoup d'anciens d'ailleurs, sont des créations parfaitement artificielles, la plupart issues de scissions de partis existants et au sein desquels la lutte pour le leadership a toujours été de mise. A ce jeu, une cinquantaine de partis nouveaux ont été créés qui, pour la plupart, ont participé aux élections législatives avec les résultats – décevants mais attendus – qui ont été les leurs. La mouvance islamiste a surtout fait les frais de la multiplication des organisations partisanes. Conséquence d'une stratégie d'émiettement conçue en laboratoire et qui a donné les fruits – amers pour les islamistes – voulus par les laborantins du palais d'El Mouradia. Dans cette stratégie, il n'était nullement question de «reconfigurer la carte politique» mais de maintenir les positions en l'état. Le pouvoir devait rester entre les mains du Président, qui ne pouvait accepter d'être remis en cause par une nouvelle majorité qui serait sortie des urnes et surtout d'être empêché de gouverner en monarque absolu. La stratégie mise en place consistait à maintenir en place les deux partis de la «famille révolutionnaire» qui continueraient à former l'alliance présidentielle, auxquels pourraient s'adjoindre des partis d'autres mouvances. Islamiste avec le TAJ (une fois celui-ci complètement structuré et opérationnel) et «démocratique» avec le MPA. On parlait même, à l'époque des législatives, du PT qui rejoindrait l'Alliance pour lui donner une caution démocratique. Pour, semble-t-il, des raisons de réactions négatives des militants du Parti des travailleurs, cela ne s'est pas fait. L'Alliance présidentielle est suffisante pour faire passer toutes les lois – y compris la réforme de la Constitution – que le Président décidera de présenter au vote des parlementaires. Et, de toute façon, le Président a réussi son pari de faire passer ses «réformes» telles qu'il les a voulues et conçues, en donnant de lui, à l'opinion publique internationale, une image de «démocrate-réformateur» même si tous les observateurs de la scène politique algérienne ne sont pas dupes. De plus, il a réussi à faire la démonstration que l'islamisme politique, même dans sa forme «light» présentée par la mouvance défendue par les Frères musulmans de Tunisie et d'Egypte, n'était pas une fatalité. Et cela a suffi aux observateurs internationaux pour fermer les yeux sur les «anomalies» des réformes et des votations qui les ont suivies.

- Le compte à rebours pour la présidentielle de 2014 a commencé. Nous sommes à environ 16 mois de cette échéance. Selon vous, comment évoluera la situation politique dans le pays dans les tout prochains mois ?

C'est là tout l'enjeu de l'année 2013. Tout le gotha politique aiguise ses armes. Les uns se préparant pour une éventuelle candidature ; les lièvres, ceux qui ne seront là que pour crédibiliser le caractère ouvert de l'élection, sont déjà dans les starting-blocks. Ceux qui représentent un vrai courant politique et se présentent comme une alternative crédible au pouvoir actuel attendent des signaux du palais d'El Mouradia pour y aller ou pas (c'est le cas probablement pour le FFS et le RCD, qui ne voudraient pas se ridiculiser encore plus). Les islamistes – réunis dans une improbable alliance ou divisés – iront certainement aux élections, quitte à crier ensuite à la manipulation et au trucage.
Tout le monde sait dès maintenant que les jeux sont déjà faits en ce qui concerne la présidentielle de 2014 : quel que soit ce candidat, ce sera encore une fois celui du système qui l'emportera. Les leaders des partis de la «famille révolutionnaire» voudraient bien y aller. Mais ils sont pour le moment bridés par le système. D'une part, ils sont suspendus à la décision de l'actuel Président de briguer ou non un quatrième mandat ; d'autre part, si la réponse, pour une raison ou une autre, est négative, il serait étonnant qu'ils y aillent tous les deux ; ce serait mortel pour le système. Ce serait aussi la porte ouverte à une véritable alternance que le système, tel qu'il a toujours fonctionné, ne peut pas accepter. Ce serait un vrai suicide politique. C'est en grande partie la cause de la crise qui secoue actuellement les deux partis et met leurs leaders sur la sellette. Au moindre signe de dérapage de l'un ou de l'autre secrétaire général, la machine de destitution se mettra inéluctablement en marche. A l'image de ce qui s'est passé pour Ali Benflis lorsqu'il avait eu la mauvaise idée de se présenter contre le Président. En fait, tout dépendra de la décision qui se prendra au Palais quant au contenu de la nouvelle Constitution, dont on dit qu'elle sera soumise au vote des parlementaires réunis en congrès, puis à un référendum populaire à la fin du premier semestre 2013. Un contenu qui organisera la succession du Président en cas d'empêchement autrement que par le processus prévu par la Constitution actuelle. Tout est dans la création ou non du poste de vice-président, avec succession automatique en cas d'empêchement. Ce sera le vrai signal pour un quatrième mandat.

- Un quatrième mandat pour le président Bouteflika est-il possible, surtout que ce dernier limite, depuis des mois, ses activités au strict minimum ?

Il y a deux années, j'aurai répondu non sans hésiter. Son état de santé me paraissait être un handicap insurmontable. La question se posait même de savoir s'il pouvait aller au bout de son troisième mandat. Aujourd'hui, je suis plus circonspect : au vu de tout ce que l'année 2012 nous a offert comme jeu politique, la simple logique voudrait que l'objectif unique poursuivi par les laborantins du palais d'El Mouradia est de mettre en place les instruments politico-juridiques pour assurer d'une part la candidature dans des conditions acceptables de l'actuel Président pour un quatrième mandat et, d'autre part, une succession en cours de mandat qui garantisse vraiment les intérêts du clan et, plus largement, une pérennisation du système. Les conditions acceptables pour un quatrième mandat sont avant tout un état de santé du Président qui ne soit pas plus dégradé qu'il ne l'est actuellement. C'est ce qui, à mon avis, explique le mieux ses absences répétées et de plus en plus longues de la scène politique. Comme vous le dites si bien, il limite au maximum ses activités. C'est certainement pour préserver son état physique : beaucoup de repos et probablement une médication appropriée pour garder une apparence de bonne santé physique et morale.
L'autre problème que pose la succession, c'est le choix du candidat idoine pour le poste de vice-président. Ce dernier – si la réforme constitutionnelle prévoit un tel poste – pourrait être issu d'un ticket, tel qu'il existe aux Etats-Unis et donnerait donc un vice-président élu, disposant d'une vraie légitimité populaire. Ou, tout simplement, il pourrait être désigné par le Président, après son élection, et ne disposerait donc pas de légitimité électorale et ne devrait son ascension qu'au clan. La personnalité de l'actuel Président, ainsi que son ego démesuré, ne peut pas accepter un vice-Président qui aurait la même légitimité électorale que lui. Ce sera donc certainement un vice-président désigné, qui bénéficiera d'une clause constitutionnelle qui fera de lui le président de la République, une fois déclarée la vacance du pouvoir. Il devra tout au clan et devra donc lui renvoyer l'ascenseur en protégeant ses intérêts. De toutes les façons, il sera certainement issu de ce clan ou tout au moins du premier cercle qui gravite autour de lui. Même si l'hypothèse d'une succession familiale semble écartée pour le moment, rien ne dit que celui que l'on prépare, dans le secret le plus total, ne sera pas qu'un pion qui chauffera le fauteuil, le temps de terminer le mandat du Président élu, pour un futur candidat qui, lui, sera issu directement de la famille.


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