Il nous aura fallu deux jours de trajet pour parcourir les 1600 km séparant Alger d'In Aménas. Notre périple, si éprouvant soit-il, nous aura permis de traverser le Sahara d'un bout à l'autre en enfilant les principales zones pétrolières et gazières et de nous enquérir de l'éventuel impact de l'attaque de Tigantourine sur les autres sites énergétiques de notre cher pays. Nous avons emprunté la RN1 jusqu'à Ghardaïa (600 km). A mi-chemin entre Laghouat et Ghardaïa, nous longeons le plus grand champ gazier d'Afrique, en l'occurrence celui de Hassi R'mel. Hormis un barrage filtrant à hauteur du branchement de Tilghemt, point d'agitation particulière autour des installations de la région. De Ghardaïa, nous mettons le cap sur Ouargla (200 km vers l'est). De là, nous nous engageons sur la RN3 qui file tout droit vers Hassi Messaoud (80 km à l'est de Ouargla). Alors que d'aucuns s'attendent à ce que la capitale algérienne du pétrole soit encerclée de partout vu les circonstances, nous sommes agréablement surpris de constater que Hassi Messaoud n'a guère cédé à la panique suite à l'odieux forfait de Mokhtar Belmokhtar et sa bande de chacals infâmes. Pas de dispositif sécuritaire excessif déployé. Alors qu'habituellement, il est exigé un laissez-passer pour accéder à Hassi Messaoud, nous sommes accueillis avec bienveillance au barrage de police filtrant les accès vers la zone pétrolière. Un policier nous demande gentiment : «Vous n'avez aucune victime à déplorer dans l'affaire d'In Amenas ? El Hamdoullah.» En revanche, il y a une vigilance accrue au niveau des bases-vie et autres complexes pétroliers de la région. Nous avons ainsi tenté de prendre la température à la base du 24-Février de Sonatrach, l'une des plus importantes du pays. Un agent de sécurité, qui nous reçoit aimablement, nous invite à nous rapprocher de la direction du géant pétrolier. Il prend soin toutefois d'alerter sa hiérarchie. En vain. «Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous allons très très bien», lance-t-il dans un sourire. Un léger barrage de police est dressé non loin de là. Même si l'émotion est très forte suite à ce qui s'est passé, nos compatriotes de Hassi Messaoud sont loin d'avoir le moral en berne et semblent déterminés à veiller jalousement sur ce poumon vital de l'économie nationale. Nous poursuivons notre route, toujours la RN3, à destination d'In Amenas. 700 km séparent les deux sites. A hauteur de Gassi Touil, à quelque 150 km au sud de Hassi Messaoud, nous nous arrêtons, là encore pour prendre le pouls, dans l'une des principales bases de Sonatrach dans la région. Un agent de sécurité au visage fermé nous explique poliment que la situation est délicate. «Personne n'est disponible pour vous recevoir. Vous comprenez la situation. Mais nous tenons le coup, Dieu merci», lâche-t-il. Un travailleur de Cosider, enveloppé dans un chèche pour parer au vent de sable qui rugit par rafales, nous lance : «J'ai été bien sûr très affecté par ce qui s'est passé à In Amenas, mais je n'ai aucune crainte. La région, ici, est très sécurisée. Les gens continuent à travailler le plus normalement du monde, y compris les expatriés. Nous faisons confiance à notre armée.» Notre interlocuteur n'a qu'un souhait : voir l'Algérie écraser la Tunisie par 5 buts à 0 pour son match d'ouverture à la CAN ! Une centaine de kilomètres plus bas, nous faisons halte à Rhourde Ennous, un autre site emblématique. Un barrage militaire veille au grain mais, là aussi, sans zèle aucun. La route est globalement impeccable, à l'exception de quelques tronçons qui subissent des travaux de bitumage, ce qui nous oblige à emprunter des pistes cahoteuses. Les stations-service sont judicieusement réparties et nous n'aurons point besoin de puiser dans le jerrican de carburant que nous avons pris dans notre malle par précaution. En arrivant à In Amenas, la ville est plongée dans le noir, mais elle connaît une belle animation. Le dispositif sécuritaire qui enserre la région est on ne peut plus discret. Il y a bien plus de check points à Alger que sur l'ensemble des 700 km séparant Hassi Messaoud d'In Amenas. Au final, le premier barrage qui nous freinera dans notre course aura été celui de… Tigantourine.