Le nouveau ministre de l'Education, Abdelatif Baba Ahmed, remet sur la table le débat sur la réforme du système éducatif. L'école est devenue le terrain privilégié de toutes les expérimentations des politiques éducatives, avec comme conséquence une instabilité qui déroute élèves et enseignants. Le système scolaire est de nouveau soumis à consultation par le ministère de l'Education en prévision de correctifs qu'il compte apporter aux programmes d'enseignement. La tutelle se garde pour le moment de parler de réformes. Autant par souci de ne pas dresser de bilan du règne de Benbouzid qui, pour rappel, a duré plus de vingt ans, que par celui de ne pas prêter le flanc à des critiques qui ne manqueront pas de venir d'acteurs, tout au long de ces dernières années, culpabilisés pour avoir osé trouver à redire sur la suffisance affichée par la tutelle en la matière. L'école reste ainsi un terrain d'expérimentation dont l'instabilité déroute aussi bien les élèves et leurs parents que les enseignants. Officiellement donc, le ministère de l'Education nationale appelle à une évaluation de la réforme éducative. Le débat a été lancé hier, mais en plus du scepticisme qui entoure ses motivations, les modalités d'organisation de ces consultations sont d'ores et déjà contestées. «Je me demande comment vont se dérouler les consultations au niveau des établissements. Il y a un manque flagrant en matière d'information sur l'organisation des rencontres du travail», dénonce Messaoud Boudiba, chargé de communication au Conseil national autonome des professeurs du secondaire et technique (Cnapest) élargi. Ce syndicaliste suppose que les consultations vont se tenir sous forme de commission au niveau de chaque établissement. Certains directeurs d'académie ont commencé, hier, à convier les syndicats et les directeurs d'établissement. «Le débat est orienté d'avance. Le ministre a limité le débat à quatre axes. Il a donné des orientations aux directeurs de l'éducation. Ces derniers vont à leur tour orienter les directeurs des établissements», estime Idir Achour, porte-parole du Conseil des lycées d'Algérie (CLA). Et de commenter : «C'est une démarche pour légitimer ce qu'ils sont en train de faire.» Jusqu'à hier, certains directeurs censés organiser ce débat n'étaient toujours pas au courant de la marche à suivre. Ils attendent le signal des responsables au niveau des directions de l'éducation. Les syndicats s'organisent à leur manière. Le CLA envisage de mettre en place une commission de réflexion au sein du syndicat. «Nous allons faire appel à des experts pour élaborer nos suggestions sous forme d'un document que nous allons remettre au ministre et nous allons rendre public. Ce rapport sera prêt dans deux ou trois semaines», souligne Idir Achour. D'après les directives du ministre de l'Education nationale, toutes les parties concernées peuvent formuler des propositions. Mais si les syndicalistes sont à pied d'œuvre pour débattre des problèmes de l'école, certains enseignants et directeurs d'établissement avouent ne pas être au courant de la démarche entreprise jusque-là. «J'ai entendu parler de ce débat à la télévision», déclare une enseignante qui a requis l'anonymat. La directrice d'une école primaire de la capitale affirme qu'elle n'a reçu aucune correspondance officielle à propos de ce débat. Pis encore, tous les enseignants contactés exigent de répondre sous le couvert de l'anonymat. Réticences Quelles sont les raisons de ces réticences ? «Les enseignants ont peur des représailles de leurs chefs directs. Les gens ont tendance à personnaliser les problèmes. Ce qui engendre chez les enseignants une autocensure. Donc le débat est faussé d'avance», explique l'un deux. Les problèmes de l'école algérienne sont nombreux comme le démontrent les témoignages des enseignants, recueillis sous le couvert de l'anonymat. «La réforme en elle-même ne me dérange pas. Ce sont les petites modifications qu'on m'impose chaque année qui me posent problème. Il n'y a pas de concordance entre la répartition et le livre de l'élève. Certains enseignants s'appuient sur ce dernier, tandis que d'autres préfèrent suivre la répartition», révèle une enseignante exerçant dans une école primaire de la commune de Chellata (Béjaïa) depuis 1995. Cette dernière reconnaît que la façon de former est différente d'un enseignant à un autre et d'une école à une autre. Résultat : «Les élèves arrivent au CEM avec des niveaux différents.» Comme la plupart des zones rurales, la région de Chellata, située en haute Kabylie, connaît le phénomène du jumelage des classes. «J'enseigne deux programmes en une seule classe. J'ai une classe de deuxième année composée de 6 élèves et une classe de troisième année avec également le même nombre d'élèves», déplore cette enseignante. Pour sa part, le directeur d'une école primaire d'Alger dénonce le laisser-aller des responsables des APC. Ce directeur, qui révèle des dysfonctionnements énormes dans la distribution de la prime scolaire, exige l'anonymat. «Je suis ciblé», déclare-t-il. Le débat sur l'évaluation des réformes peut-il être un débat libre ? Pas si sûr ! Questionné au sujet des casiers qui pourraient alléger la contrainte des cartables sur les élèves, ce directeur estime qu'on est loin de ces solutions : «Au niveau du ministère, on parle de la généralisation de l'outil informatique dans les écoles, alors que notre établissement ne dispose même pas de téléphone fixe.» En somme, le débat sur l'école resurgit une nouvelle fois avec les mêmes termes et les mêmes enjeux. Comme si ces longues années où l'on a fait et refait les programmes, faisant des élèves les cobayes obligés du bégayement idéologique au sommet, n'ont servi à rien.