Le parti du FLN traverse depuis un certain nombre d'années, plus exactement depuis les événements d'Octobre 88 et leurs conséquences sur le climat politique du pays, des moments difficiles, voire dangereux pour son devenir, tant les effets demeurent des indicateurs diserts d'une situation complexe qui ne veut se résoudre dans la sérénité et évoluer dans l'intérêt des militants qui attendent beaucoup de leurs dirigeants. Pour cela, nous sommes partis à la rencontre d'un pur produit du FLN – plutôt d'un «enfant légitime», comme il s'en vante souvent – pour en savoir plus sur une formation qui, hier, positive et concrète du temps de la Révolution armée, sombre aujourd'hui dans les dissensions, les discordes, la surenchère et les alliances contre-nature pour nous faire revivre les aléas de cet «atavisme» qui nous vient de si loin. Nous nous sommes adressés à Monsieur Kamel Bouchama, ancien dirigeant du FLN, pour connaître son avis, lui qui a le plus écrit sur le FLN, quatre livres et de nombreux articles où il le défend âprement au moment où plusieurs hauts responsables – ils y sont jusqu'à maintenant– se terraient pitoyablement de peur de s'attirer les foudres d'«en haut» ou d'essuyer de sévères critiques de la part des dirigeants et militants de nouveaux partis. - Que pensez-vous de la situation actuelle du parti du FLN et que pouvez-vous nous dire quant à l'issue des prochains changements au sein de la direction ?
D'abord, il faut que nous sachions que le FLN, avec ses pratiques d'aujourd'hui, est en train de se faire très mal, peut-être même de vivre ses derniers moments malheureusement, si l'on considère ce vent de réformes qui souffle dans le monde. Je dis cela, parce que le FLN, principale formation dans notre paysage politique, n'a pas su s'adapter, juste après Octobre 88, aux exigences des temps nouveaux, c'est-à-dire qu'il n'a pas su réviser son discours pour le mettre sur la voie du vrai changement tant attendu par le peuple et, principalement, par la jeunesse qui ne se reconnaît pas dans son fonctionnement et encore moins dans sa gestion des événements qui se sont succédé dans le pays. Encore une fois, j'ose réitérer, dans cet espace médiatique que vous m'offrez, ce que j'ai clairement affirmé dans mon dernier ouvrage sur le FLN que j'ai intitulé : Le FLN, la refondation ou… le musée. En un mot, qu'il se refasse entièrement, non pas seulement sur le plan structurel ou organique, mais sur le plan politique, c'est-à-dire qu'il soit un parti au pouvoir s'il en a les moyens, sinon, un parti de l'opposition… constructive ou positive. Appelons-le comme on veut. Vous insistez dans votre question sur les prochains changements au sein de la direction du FLN. Eh bien, je vais vous étonner peut-être, mais je ne suis pas tellement optimiste quant à l'issue de ces derniers…, quoi qu'en soit leur résultat. Je ne suis pas optimiste pour la seule et unique raison qui me pousse à dire courageusement que malgré toute la bonne volonté des militants sincères qui ne peuvent se conformer, sans peine, à cette ambiance impure qui les mène droit vers la déchéance et l'humiliation, le FLN n'est pas en mesure présentement de rebondir vers des «horizons prometteurs». Car, le FLN, ce patrimoine national collectif, «un bien d'héritage que l'histoire de la lutte armée a greffé, sans distinction aucune, dans les parois de chaque cœur algérien», comme l'écrivait El Yazid Dib, devenu aujourd'hui «une coquille vide», en étant souillé et humilié par l'incompétence, les outrages et les comportements démentiels, ne peut, malheureusement, jouer le rôle qui lui échoit parce qu'il n'est pas, de par ses responsables, au comble de la vérité. Et l'on se trompe lourdement si l'on croit qu'il la détient ! En effet, le FLN a grandement changé après les événements d'Octobre. Il a vu le départ de Mehri après un «coup d'Etat scientifique», parce que ce dernier s'est réservé le droit d'en faire un véritable parti d'opposition, pas un parti en retard sur les autres ou un parti alibi, comme lorsqu'il jouait ce rôle depuis l'indépendance jusqu'à l'explosion d'Octobre. De même que Mehri, architecte en chef de propositions nobles, celles qui construisent des ponts de rapprochement et de concorde, pas celles qui fomentent des complots et des coups d'Etat, réaffirmait sa détermination à poursuivre le dialogue ainsi que son attachement à la démocratie pour l'édification de l'avenir. Il a vu également le départ de Boualem Benhamouda. Celui-ci s'en est allé parce qu'il ne pouvait se stimuler avec une équipe qui lui a été imposée, une équipe sans âme et sans détermination. Pouvait-il, même s'il le voulait, déloger cette dynastie de responsables ankylosés et lutter contre la corrosion qui affectait son parti ? Pouvait-il, enfin, comme il l'a toujours fait dans différents secteurs qu'il a brillamment gérés au gouvernement, séparer le bon grain de l'ivraie ? Il ne voulait être victime d'un changement «nécessaire» après l'arrivée de Bouteflika, ce changement qui réponde à des «raisons impérieuses» ou, carrément, d'un autre «coup d'Etat scientifique», puisqu'on est rodé à ce genre de pratiques moyenâgeuses. Enfin, le départ de Ali Benflis. Dans quelles conditions ! Une coalition exceptionnelle contre cet «impertinent» qui, croyant en la véritable démocratie en Algérie, s'en est allé se pointer candidat à l'élection présidentielle face au candidat du pouvoir, Bouteflika. Et voilà qu'il découvre à ses dépens qu'il ne fait plus l'affaire dans un système qui, bien avant cette «offense» aux lois établies, l'encensait sous des titres flamboyants, comme : «Sa constance et son parcours sont ses meilleurs avocats». Les thuriféraires du pouvoir transformés en «redresseurs» étaient là, même le ministre de l'Intérieur de l'époque, qui s'était vite rétracté, déclarait froidement : «C'est à la justice de trancher», en menaçant de «bloquer non seulement le Congrès mais aussi et surtout la candidature de Benflis à la présidence de 2004». Ah, quelle justice, celle qui s'est faite la nuit ! Ainsi, ce «pronunciamiento juridique» ne pouvait atténuer les rancœurs même si les militants, par trop disciplinés, assistaient indifférents ou humiliés à cette guerre fratricide qui les dépassait. Non, le problème du FLN était et demeure le problème de ses cadres et surtout «le problème du pouvoir», qui ne lui a jamais cédé ne serait-ce qu'une parcelle de son territoire, voire de son autorité ! Alors, tout ce que nous pouvons imaginer après, c'est de la philosophie, des analyses d'intellectuels qui peuvent échapper, très souvent, à la logique et à la raison. Il est vrai que le FLN, j'allais dire l'«originel», avait des capacités pour ce genre de mission, mais le FLN actuel, celui des cérémonies et du culte de la personnalité, a perdu de sa teneur en «virilité». En d'autres termes, il n'a plus l'esprit ouvert sur le sacrifice et ne possède plus la force pour aller vers des actions de grande envergure qui le faisaient, jadis, même sans pouvoir réel, plus crédible et plus respecté. Où sera donc le changement dans ces conditions ? Je vous le demande !
- Un constat sévère que vous nous présentez concernant le FLN. Ne pensez-vous pas, malgré votre pessimisme, qu'il a son programme et qu'il tient à le mettre en pratique pour les échéances prochaines ?
Non, ce n'est pas du tout un constat sévère ou un discours défaitiste que je vous tiens. Le FLN, et vous le savez autant que moi, est devenu une véritable nébuleuse où l'on ne sait même pas à qui on a affaire. Un simple examen de l'état des lieux nous donne cette affirmation qu'il n'y a plus rien sur la scène politique. Ainsi donc, le FLN qui aurait dû être le symbole, la fierté de tous les Algériens, ceux de la génération de la Révolution, ceux de la génération post-indépendance et des générations futures, a été dévoyé à des fins inavouables. Je ne fais nullement le procès de celui qui a permis à ce pays de se libérer, de sortir de son dénuement, de s'émanciper, d'éduquer des millions de jeunes, d'édifier une infrastructure importante, de s'imposer sur la scène internationale et de créer les moyens qui lui permettent d'avancer encore. Je fais, par contre, le procès de ceux qui le dirigent ou qui ne savent pas le diriger… C'est alors que je vous confirme que mon pessimisme est justifié, surtout lorsque vous me parlez de programme du FLN, au moment où tous ses dirigeants vous rétorquent, hautement, vaillamment, que leur programme est celui du Président. D'ailleurs, les principaux partis de la soi-disant Alliance présidentielle tiennent le même discours. Là, franchement, cela me rappelle cette fameuse «réponse de Normand», employée comme passe-partout, chaque fois que l'on veut s'acquitter de son manque d'énergie, de réflexion et d'inspiration. Ainsi, c'est quoi ce programme du Président qui est valable pour tous les partis ? Restons avec le FLN. Est-ce son programme de réaliser l'autoroute Est-Ouest, les prochaines tranches du métro d'Alger – s'il y a d'autres tranches –, les aéroports, les barrages, les infrastructures économiques, sociales et culturelles, dont les complexes gaziers et autres, les universités, les lycées, les écoles et les complexes sportifs ? N'est-ce pas l'éducation et la formation de l'homme sur le plan moral, politique et patriotique, une mission qui lui sied, et qui fait de lui un des éléments essentiels de la mise en pratique de ce vaste programme national de réalisation, en prenant en charge consciemment et d'une manière concrète et militante toutes ces tâches importantes et indispensables ? N'est-ce pas là son rôle, plutôt que de dire, toute honte bue, et d'une façon démagogique, «notre programme est le programme de Monsieur le président de la République» ?
- Mais, enfin, que va-t-il devenir aujourd'hui après ce mouvement de contestation et de défiance au détriment de son secrétaire général ?
Vous allez même me demander qui remplacera M. Belkhadem à la tête du secrétariat général. Je vous répondrai que cela n'est pas important vu l'état dans lequel se trouve le FLN aujourd'hui. En tout cas, il sera le fruit de «marionnettistes» qui auront jeté leur dévolu sur celui qui va perpétuer la «forme de gestion» décidée pour le FLN, comme pour d'autres partis ou «particules» ayant leurs agréments…, une forme de gestion qui ne saurait se départir du carcan de l'obligeance et de la sujétion, auxquelles ils y sont astreints pour plaire au pouvoir en place. La prochaine direction du FLN sera donc le fruit de ces prestidigitateurs qui décident en fonction des perspectives qu'ils veulent tracer pour le pays. Ainsi, cette direction ne dépassera pas les clans de «redresseurs», de «caciques» et de «redressés» dans notre parti qui, depuis plus d'une décennie, est en train de virevolter entre «arroseurs et arrosés» et d'en pâtir, de cette manière, dans le gouffre des antagonismes, des hostilités et des haines. C'est pour cela que, conscient de la situation qui prévaut, je dis que rien ne va changer dans le fond et qu'à la longue, ou peut-être dans peu de temps, s'il n'optera pas pour une véritable réforme, notre FLN, fer de lance du nationalisme progressiste…, pourra voir sa situation s'aggraver davantage par la bêtise des siens. Alors, il sera obligé de faire un toilettage général et opter pour une sérieuse prise en charge s'il veut encore participer effectivement à la construction du pays. Et la meilleure thérapie pour lui sera une thérapie de choc, en une refondation générale. En effet, c'est aujourd'hui qu'il faut agir car, demain, il serait peut-être trop tard, malgré beaucoup d'inversion de tendance et d'acrobaties politiques pour changer le cours de son histoire. Il faut concevoir son renouveau sur un socle solide et inscrire son développement dans la durée. En bref, il faut lui donner une nouvelle vie, dans une bonne ambiance de bon marketing politique. Sinon, nous serons dans l'obligation, cela a été toujours demandé par certains «ténors», de recourir à l'euthanasie politique et «salvatrice», comme dernier ressort.
- D'aucuns pourraient interpréter votre démarche comme un appel du pied, une offre de service...
Kamel Bouchama n'a aucune prétention, il n'a aucune aspiration démesurée et il l'a souvent déclaré sur les antennes de médias lourds du pays, comme il l'a écrit dans ses nombreuses contributions à la presse nationale. Je réitère encore aujourd'hui que je ne peux m'accommoder de sacrées magouilles, organisées par des responsables qui n'ont jamais travaillé pour un climat d'opinions, marqué par des débats idéologiques, des débats d'avenir. Je ne peux me battre contre ces «hérauts» de la politique, qui ignorent le danger suspendu sur leurs têtes. Alors, pour clore cet entretien, je me remémore les sages paroles de Kaïd Ahmed. En effet, comment ne pas évoquer ce visionnaire quand il disait vrai et parlait juste. L'Histoire, l'authentique – comme il me plaît de la qualifier – lui reconnaîtra des expressions, voire des positions vaillantes que lui seul pouvait prendre face à de «prétendus leaders prédestinés». En effet, Si Slimane criait à qui voulait l'entendre – ce que personne ne peut faire aujourd'hui dans cette ambiance de lâcheté et de complaisance – qu'il se dressait énergiquement devant cet «effrayant processus d'affairisme révoltant, d'enrichissement éhonté autant que soudain, de corruption systématique atteignant jusqu'au niveau de la superstructure en particulier, qui fournissait l'exemple d'une dangereuse et contagieuse immoralité publique, altérant et dénaturant, en un court laps de temps, l'image du pays du 1er Novembre 54». Enfin, ma conscience, comme l'œil de Caïn, me poursuit, constamment, quand j'ouvre ce dossier du FLN et, à l'instar du Coryphée dans le théâtre antique, me somme de reprendre mon énergie et de dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas.