Etablir un pont avec le sud de la Méditerranée est la nouvelle priorité du groupe du Parti populaire européen (PPE) qui domine le Parlement européen. L'Algérie sera la première étape de cette nouvelle démarche politique qui entend rattraper les retards et ratés du processus euro-méditerranéen de Barcelone. Processus vieux de dix ans, mais qui n'a pas bougé d'un pouce. Consciente de cette réalité, Tokia Haféda Saïfi, Française d'origine algérienne, est venue à Alger presque en éclaireur. Présidente de la commission politique à l'Assemblée parlementaire euroméditerranéenne (APEM), structure créée en 2004, et député européenne, Tokia Saïfi, 47 ans, qui a été ministre dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, plaide pour l'intensification des relations politiques entre l'Europe et la rive sud de la Méditerranée. « Il est vrai que le processus de Barcelone n'a pas donné les résultats attendus. Mais, il a ce mérite d'exister », déclare Tokia Saïfi, rencontrée hier matin à l'hôtel El Djazaïr, à Alger. Le sommet de Barcelone de l'année dernière, marqué par une forte absence des dirigeants arabes, semble avoir ouvert les yeux sur les obstacles du processus. « Il faut tirer les leçons du passé », plaide Tokia Saïfi. « L'Algérie n'a pas la place qu'elle mérite dans ce processus. » « Pays leader dans la région, l'Algérie doit se faire connaître politiquement au niveau européen », estime-t-elle, annonçant l'arrivée, dans les prochaines semaines, d'une forte délégation du PPE en Algérie. Elle reconnaît que l'Union européenne (UE), prise par l'accélération du mouvement de l'élargissement, a, quelque peu, oublié de regarder vers le Sud. Le moment est venu, selon elle, de bâtir un pont vers la rive sud de la Méditerranée. Tokia Saïfi a évoqué ces questions avec Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la nation, Mohamed Si Ali, vice-président de l'APN, Ayachi Daadouaa, chef du groupe parlementaire du FLN, et Miloud Chorfi, chef du groupe parlementaire du RND. Mohamed Si Ali, d'après l'agence officielle APS, a présenté à la députée européenne un exposé sur « la charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Tokia Saïfi, qui n'a pas eu ce « privilège » de rencontrer Amar Sâadani, apparemment trop « pris » par les activités de l'APN, ne saura pas grand-chose sur le rôle que joue la chambre basse du Parlement dans la vie politique algérienne. Cela dit, le PPE, qui regroupe les différents courants de la droite européenne, ne semble pas préoccupé, pour l'instant, par les questions liées à la pratique démocratique. « Pour nous, la démocratie ne doit pas être imposée », tranche Tokia Saïfi. Percevant la présence américaine dans la région comme « une concurrence » avec l'Europe, elle dit ne pas comprendre l'attitude de Washington de « dicter les réformes en offrant des dollars ». Le PPE, qui va diriger le Parlement européen en 2007 à travers son président, l'Allemand Hans-Gert Poettering, entend travailler à l'avenir avec la société civile, à condition que celle-ci ne mette pas l'habit de « l'opposition aux régimes en place ». Fin mars, le PPE a tenu son congrès à Rome. Ses délégués ont été reçus par le pape au Vatican. Benoît XVI a estimé, dans une déclaration publique, que le PPE était « l'avocat des valeurs judéo-chrétiennes » de l'Europe. Tokia Saïfi veut rassurer qu'au Parlement européen, il y a de l'intérêt pour la communauté musulmane qui vit et travaille dans le Vieux continent et qui sera de plus en plus nombreuse. Elle reconnaît l'existence de résistance à l'adhésion de la Turquie, pays majoritairement musulman, à l'UE. Cependant, elle rappelle que le Conseil de l'Europe a décidé d'ouvrir la négociation sur cette adhésion. « C'est un signe », dit-elle, soulignant la présence du parti d'Erdogan, Premier ministre turc, en tant qu'observateur au congrès de Rome. Elle ne parle pas du casse-tête démographique que les experts évoquent pour tenter de freiner l'arrivée organique de l'Asie mineure à l'UE. Ce n'est pas un hasard si les participants aux journées d'étude organisées par le PPE à Rome ont abordé « le changement démographique en Europe », mais aussi « les valeurs et l'identité » de cette même Europe. Sur un autre chapitre, Tokia Saïfi estime que la diaspora algérienne doit être impliquée, d'une manière plus prononcée, dans les projets d'investissement dans le pays. « Sur le plan économique, l'Algérie monte en puissance. Elle a besoin des compétences et du savoir-faire des Algériens qui réussissent à l'étranger, notamment en France. Je ne dis qu'il faut leur dérouler le tapis rouge, mais on peut les aider un peu », propose-t-elle. Selon elle, des hommes d'affaires et des chefs d'entreprise d'origine algérienne se sentent parfois être « mal perçus » en Algérie. « Ils ne comprennent pas cette attitude. Parfois, ils sont défavorisés dans le choix de certains projets. Ils sont attachés à l'Algérie et ils souhaitent prendre part à l'effort économique », ajoute-t-elle. Elle cite l'exemple de son jeune frère, Salim Saïfi, qui a ouvert deux centres en informatique à Biskra, terre natale des parents Saïfi, et à Bab El Oued, à Alger.