Il est, à n'en pas douter, le plus grand humoriste cathodique du moment en Egypte. Un véritable phénomène de société. Son programme hebdomadaire, «Al Barnamag» (littéralement : le programme) diffusé tous les vendredi soir sur la chaîne privée CBC, fait un tabac et explose l'audimat. Lui, c'est Bassem Youssef, 38 ans, l'une des plus belles success-story de l'après-Moubarak. Mais il faut toutefois préciser que ce beau gosse aux yeux bleus, débordant de tendresse et de malice, a déjà une belle carrière derrière lui. Pas dans les médias. Mais comme chirurgien. Et pas n'importe quel chirurgien, lui qui est spécialiste en chirurgie cardiaque. Excusez du peu… Quand l'insurrection éclate, le fringant toubib se mobilise spontanément comme volontaire à l'hôpital de campagne aménagé sur la place Tahrir pour porter secours aux blessés. Dans la foulée, il se lance en Zorro dans une autre bataille, autrement plus décisive : celle du sens. Il prend sur lui de répondre aux mensonges des médias de Moubarak. Il décide de frapper les télés du régime en plein cœur en passant leurs images, matraquées en boucle au scalpel pour en débusquer les énormités. Et comme il n'avait pas de canal à sa disposition, il tournait ses émissions chez lui et les postait sur You Tube. La chaîne ONTV le repère rapidement et achète le concept les yeux fermés. Quelques mois plus tard, sa concurrente CBC le débauche en lui offrant de meilleures conditions de production. L'émission «Al Barnamag» est construite sur le même principe que la version primitive du programme : Bassem Youssef pioche dans les images fournies à foison par les télés égyptiennes et s'amuse à les déconstruire, les détourner, triturer leur discours avant de les restituer dans un format hilarant. Le produit frappe par son originalité. Certes, son show emprunte largement aux codes des chaînes américaines, mais Bassem Youssef a su s'approprier magistralement les standards du genre et les «égyptianiser». Usant d'une langue moderne, paillarde et sans tabou, il flingue tout le monde : le pouvoir, les Ikhwane, le FSN, les salafistes et même ses colocataires de la chaîne CBC à qui il rappelle leurs anciennes allégeances, images à l'appui, à telle enseigne que son collègue Imad Adib, le frère du fameux Amro Adib, dépose plainte contre lui. Dans le bras de fer qui oppose les médias du courant libéral aux islamistes, il est en tête des trublions que le pouvoir FM veut faire taire. L'entourage du Président s'est ému du traitement qu'il a réservé à Morsi dans l'une de ses émissions où il a copieusement brocardé le président barbu. Le procureur général, le si controversé Talaât Abdallah, s'est empressé de diligenter une enquête contre lui pour lui faire payer ses «écarts». Mais lui ne bronche pas et récidive allègrement. Dans son émission du 1er février 2013, il adresse un message au ton dur, à peine ironique, à Morsi. Magnéto : «Ils disent que les gens qui sont sur la place Tahrir sont des baltaguia, des traîtres, exactement comme le disait l'ancien régime. (…) Celui qui commet un acte de ‘baltaga' dans l'écriture de la Constitution, c'est lui qui dénigre l'autorité de l'Etat, ya raïs. Et s'il y a de la baltaga dans la rue, alors, ce qui se passe est juste une imitation. D'ici, je déclare mon soutien à toutes les décisions du Président. Frappez d'une main de fer ya raïs ! Sévissez contre tous ceux qui ont ‘baltagué' contre le pays. Mais commencez par ceux qui tiennent les rênes de ce pays !»