Norbert Lammert, président du Bundestag, le Parlement allemand, a effectué dimanche et lundi une visite officielle en Algérie. Il a été reçu par le président Abdelaziz Bouteflika, le Premier ministre Abdelmalek Sellal et les présidents des deux Chambres du Parlement, l'APN et le Conseil de la nation. Lors de ces audiences, l'idée de renforcer «le dialogue politique» entre Alger et Berlin a été évoquée. Député de la CDU (chrétiens démocrates, droite), Norbert Lammert est président du Bundestag depuis 2005. Il a été réélu en 2009. Il est le second personnage de l'Etat en Allemagne après le président fédéral. Norbert Lammert, 65 ans, est titulaire d'un doctorat en sciences politiques et en sociologie. -Quel constat faites-vous de l'évolution des relations entre l'Algérie et l'Allemagne ? Je partage le constat fait par le président de l'Assemblée populaire nationale (APN), à savoir que nous avons traditionnellement des relations bonnes et amicales. Des relations historiques et étroites. Il y a des possibilités d'intensification et d'évolution de ces relations dans la perspective politique, économique et culturelle. -Le conseiller diplomatique de l'ancien chancelier Helmut Kohl, Joachim Bitterlich, avait déclaré lors d'une conférence à Alger que «pour les Allemands, l'Algérie est un no man's land ou une terre inconnue». D'où vient cette méconnaissance ? L'Algérie n'est naturellement pas une terre inconnue, mais quelques autres pays nord-africains sont en particulier pour les touristes allemands certainement plus populaires. Même si nous tournons en rond maintenant, notre relation pourrait nettement être plus élargie compte tenu de la taille de l'Algérie par rapport à la région et celle de l'Allemagne par rapport à l'Union européenne. -Pensez-vous justement que les relations économiques entre les deux pays reflètent réellement les moyens et les potentialités de l'Algérie et de l'Allemagne ? Ce potentiel n'est pas exploité pleinement. Lorsqu'on pose la question aux entreprises allemandes si elles sont intéressées par les possibilités d'investissement en Algérie, ces entreprises évoquent un certain nombre de problèmes comme les obstacles administratifs, les procédures d'agrément extrêmement longues et l'incertitude quant à la possibilité de faire valoir leurs droits. -Les entreprises allemandes veulent-elles plus de facilités ? Ce n'est pas ce que j'ai dit. Cela s'applique autant en Algérie qu'en Allemagne, les conditions politiques, économiques ou culturelles sont décidées souverainement par les Etats. Sur la base de ces fondements de souveraineté, le pays décide s'il souhaite attirer des sociétés étrangères pour qu'elles s'installent sur son territoire. Au pays de décider de son niveau d'attractivité par rapport à d'autres Etats. -Les Allemands regardent-ils l'Algérie ou le Maghreb d'une manière directe ou mettent des «lunettes» françaises pour le faire ? L'idée ne me serait pas venue à l'esprit de voir les relations avec l'Algérie ou avec le Maghreb avec les lunettes de la France. Ce que nous essayons de faire, dans de nombreux domaines, c'est d'arriver à une position européenne commune. Cependant, dans nos relations bilatérales ou dans les relations entre les entreprises, nous ne nous basons pas sur l'opinion de Bruxelles ou de Paris, mais sur notre propre opinion. -Quels sont les domaines de coopération qui intéressent l'Allemagne dans le futur ? Il existe des domaines d'intérêt extrêmement importants comme l'énergie ou l'environnement. Il est vrai que les intérêts de nos deux pays ne sont certes pas identiques, mais ils se recoupent dans de nombreux domaines. Il y a beaucoup de projets qui sont réalisés dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UPM) et qui nécessitent une certaine coordination. -L'Allemagne croit toujours à l'UPM ? L'Allemagne travaille avec beaucoup de dynamisme au développement de l'UPM. La présence dans notre délégation du représentant du Bundestag auprès de l'Assemblée parlementaire de l'UPM montre à quel point cette union est pertinente. Nous avons demandé, avec succès d'ailleurs, que la coopération implique l'ensemble des membres de l'Union européenne (UE) et pas uniquement quelques Etats. Cela été également mis en application pour nos relations avec les pays de l'Europe centrale et orientale. -L'Allemagne a soutenu l'intervention militaire au Mali. En même temps, elle s'est contentée d'un soutien logistique tout en défendant l'idée d'une solution politique. Est-ce que dans le fond l'Allemagne n'est pas d'accord avec l'option militaire pour régler la crise malienne ? Nous sommes toujours favorables plus à une solution politique qu'à une intervention militaire quelle qu'elle soit. Nous nous sommes solidarisés avec l'action militaire de la France au Mali. Cette action est le fruit d'un appel lancé par le gouvernement malien à la France. Nous avons spontanément mis à la disposition des moyens logistiques qu'on nous a demandés. A la différence de la plupart des pays, l'Allemagne ne peut pas participer officiellement à une action militaire sans qu'il y ait décision parlementaire prise en la matière. Il faut que le mandat d'action soit donné par le Parlement. Les conditions d'une participation militaire allemande vont être discutées et décidées dans les prochaines semaines. -L'engagement militaire allemand en extérieur n'est-il pas conditionné par l'histoire de l'Allemagne ? Bien entendu. Mais au-delà de l'histoire allemande, les événements de ces dernières années dans le monde ont donné raison à l'Allemagne qui a toujours défendu l'approche consistant à épuiser toutes les options politiques avant de recourir à l'intervention militaire. -Si le Parlement accepte l'engagement des troupes à l'étranger, l'Allemagne va-t-elle se joindre aux Etats qui combattent le terrorisme dans le Sahel ? Bien entendu nous soutenons nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme. Notre mandat sera de compléter les efforts des autres pays dans la région. -L'Allemagne ne craint-elle pas «l'afghanisation» du Mali ? L'Allemagne, comme les autres pays européens, discute régulièrement de la manière de relever le défi du terrorisme dans la mesure où cela ne concerne pas que quelques pays. Cela nous concerne tous. Nous discutons aussi la manière de planifier et exécuter ces opérations de manière à ce que les troupes ne restent pas sur les territoires pendant une durée indéterminée pour que les pays concernés puissent gérer d'une manière souveraine leur situation interne. Au Bundestag, nous avons tous les spectres de l'opinion qui seront représentés et qui peuvent s'exprimer sur la question de l'intervention militaire. Il y a ceux qui sont contre – leur «non» est catégorique – et il y a ceux qui estiment qu'il faut poser des conditions précises à toute action militaire, laquelle doit être limitée. -Quelle différence existe-t-il entre la position réticente de Berlin par rapport à l'intervention extérieure en Libye pour chasser El Gueddafi du pouvoir et celle favorable aujourd'hui à l'engagement militaire français au Mali ? La situation n'est pas comparable entre ces deux pays. Il s'agit de questions de droit international différentes et qui conditionnent des décisions différentes au Conseil de sécurité des Nations unies. -L'Algérie mène auprès des instances internationales un combat diplomatique pour interdire le paiement de rançons à des groupes terroristes contre la libération d'otages. Quelle est la position de l'Allemagne sur cette question ? A mon avis, c'est un sujet le moins propice à des déclarations publiques. -Une manière de ne pas répondre à la question… J'ai répondu. -Le paiement de rançons n'est-il pas un moyen de financer le terrorisme ? Je m'en tiens à la déclaration que je viens de faire. -L'Allemagne, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, peut-elle soutenir l'Algérie dans sa lutte contre les groupes terroristes surtout après l'attaque d'In Amenas ? La lutte contre le terrorisme est un défi international. Un défi pour tous les peuples et les Etats civilisés. C'est la raison pour laquelle nous devons, dans la mesure du possible, mener des actions concertées. -L'Allemagne est une puissance économique. Cette puissance ne se reflète pas dans la politique étrangère. Pourquoi ? L'influence politique n'est pas tout à fait indépendante de la puissance économique. Mais je ne pense pas qu'il faut mettre les deux dans un même pot. A une époque de l'histoire contemporaine, l'Allemagne s'était prise au sérieux en pensant être plus importante qu'elle ne l'était. Cette présumée sous-évaluation de l'Allemagne me convient personnellement. -L'Allemagne ne veut-elle donc pas devenir le sixième membre du Conseil de sécurité ? C'est une décision qui ne se fait pas en levant la main, mais par consensus au niveau de la communauté internationale. Ce consensus n'existe pas encore. Il n'y a pas de volonté visible et reconnaissable de réformer d'une manière fondamentale les structures de l'ONU, y compris le Conseil de sécurité. Comme d'autres pays, nous estimons que cette réforme a trop tardé. Je pense que si l'on demandait à l'Allemagne de jouer un rôle accru sur la scène internationale, elle ne refuserait pas. L'Allemagne apportera sa contribution constructive pour tous les développements internationaux, pas forcément en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. -Lors d'une visite en Tunisie en 2011, vous avez déclaré que l'Allemagne va accorder une aide de 100 millions d'euros au pays du Printemps arabe. Qu'en est-il aujourd'hui ? Ces fonds ont été dépensés intégralement l'année dernière pour des projets convenus avec les pays concernés. Des projets relatifs à l'action de la société civile et la promotion du développement économique. Pour cette année, un montant identique est prévu au budget. Cela s'ajoute aux fonds apportés par l'Union européenne. Ce qui signifie que l'Allemagne contribue doublement à aider ces pays à engager leurs processus de réforme. Une partie de ces fonds que nous avons évoqués est consacrée aux activités des fondations politiques dans différents pays. Nous avons évoqué avec nos homologues de l'APN le cadre législatif régissant l'action des fondations politiques en Algérie qui n'est pas si favorable, comme dans d'autres pays arabes. -La situation politique actuelle en Tunisie vous inquiète-t-elle ? Nous suivons la situation en Tunisie avec beaucoup d'intérêt. Le processus de réforme dans certains pays arabes est arrivé à un point où l'écart se creuse entre les attentes démocratiques d'une grande partie de la population et celles des partis islamistes légitimés par les élections. Attentes en termes d'organisation de leur société. -Il y a un débat en Allemagne sur la vente de patrouilleurs à l'Arabie Saoudite (pour un montant de 1,5 milliard d'euros). Certaines parties refusent la vente de matériel militaire à ce pays. Pourquoi la vente d'armement suscite-t-elle autant de polémique ? Nous avons un cadre réglementaire qui régit toutes les autorisations pour les exportations d'armement en Allemagne. Ces autorisations relèvent du gouvernement fédéral. Lorsqu'il y a des demandes d'achat d'armement, la procédure d'autorisation est menée d'une manière discrète. Et lorsque les décisions sont publiées, il y a des réactions politiques à large spectre. -Et quelle analyse faites-vous de la situation en Syrie ? Je suis absolument sans voix face à la situation en Syrie. Une situation qui évolue de jour en jour. -La communauté internationale n'a-t-elle pas abandonné la Syrie ? Non, mais la question est quelle Syrie ? Le gouvernement ou le peuple ? Et quel peuple ?