Comme il n'existe pas de Major company en Afrique (Sud du Sahara), la production de films y est plutôt prosaïque, sujette à des pesanteurs et à des attentes insupportables, tout sauf cohérente. Il y a certes beaucoup de projets dans les tiroirs, mais où trouver l'argent, sinon peut-être encore une fois dans le système d'aide des bailleurs de fonds européens sans scrupules qui contrôlent au sens large chaque production et qui font refaire les scénarios ? Paradoxalement, le cinéma d'Afrique du Sud, dont la tendance est très majoritairement commerciale et déplaisante, a réussi par miracle à produire le film de Gavin Hood (un Blanc) : Tsotsi, qui a décroché un prix à Berlin et un Oscar à Hollywood. Il s'agit d'une fugitive incursion dans le cinéma de qualité et la production de Prétoria retournera à ses mauvaises inclinations. Que reste-t-il alors ? A l'ouest du continent, il y a une flopée de cinéastes qui s'interrogent avec angoisse sur leur avenir. Un festival panafricain au Burkina leur permet tous les deux ans de tisser des liens de plus en plus serrés mais chaque fois sans lendemains. C'est à Ouaga, point de jonction de la communauté africaine des cinéastes, qu'on salue « l'ancêtre » Sembène qui se fait avec l'âge très amer et auquel les nouvelles générations vouent un respect sans cesse fléchissant. Il y a aussi Souleimane Cissé, dont quelques œuvres fulgurantes, comme Yeelen, l'ont fait d'emblée distinguer de ses pairs, aujourd'hui retranché à Bamako dans une hautaine solitude, sa carrière à l'abandon. Et peut-être encore l'exceptionnelle réussite d'Idrissa Ouedraogo, qui ne dort pas sur ses lauriers passés, et qui survit en faisant des feuilletons pour la télévision. Idrissa inventait ses films au fur et à mesure de leur tournage. Il avait acquis une bonne maîtrise pour raconter des histoires. Idrissa a commencé, après l'Idhec, par le commencement en tournant des documentaires très courts, socio-éducatifs, sans dialogues ni commentaires destinés à une population du Burkina très majoritairement analphabète et où les échanges se font en 40 langues vernaculaires. Il y a encore cette œuvre très surprenante et qui survit à la mort de son auteur : Touki Bouki, de Djibril Diop Mambetty. Qui ne se souvient de Djibril (à maintes reprises son film a fait salle comble à la Cinémathèque d'Alger) ? Un artiste fin et drôle, généreux et amical, irrésistible amateur de bon cru. Acteur de théâtre, il devait découvrir très tôt le démon de la mise en scène de cinéma. Et après quelques essais et autant de coups de maître, il a rompu les amarres (avec le cinéma ethnique, sur les racines) pour tourner Touki Bouki, l'histoire d'un jeune berger peuhl qui rêve de l'exil en Europe mais qu'une force surnaturelle retient au pays. Djibril a tourné cette histoire sans sacrifier aux formules standards du cinéma africain, aux recettes éprouvées qui veulent que le message, la cause à défendre passent avant la mise en scène cinématographique. Résultat : Touki Bouki est un film drôle, émouvant, ingénu. Pas lourdingue ni démonstratif. La tribu de Djibril à Dakar, parents et alliés, doit tout de même s'étonner de voir aujourd'hui son film vendu sur Internet, sur le site Amazon.com, alors que tout le monde sait que le cinéaste est mort dans la dèche.