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Le cinéma au rendez-vous de l'Histoire
ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR MEHDI CHAREF
Publié dans L'Expression le 23 - 10 - 2007

Le Thé au harem d'Archi Ahmed séduit vite l'un des plus grands cinéastes français, Costa Gavras, qui aide le réalisateur à mettre en images ce texte de fiction qui va remporter le César du premier film et le prix Jean Vigo.
Du haut de ses 53 ans, le cinéaste et réalisateur d'origine algérienne, Mehdi Charef, est un personnage attachant, parfois maladroit. Il se dit réalisateur singulier et ne semble pas aimer la langue de bois. Autodidacte, fils d'émigré qui découvre, enfant, l'univers de l'exil, vivant dans une sorte de ghetto, d'ailleurs bien décrit dans son premier roman paru en 1983 à Mercure de France, Le Thé au harem d'Archi Ahmed, séduit vite l'un des plus grands cinéastes français, Costa Gavras, qui l'aide à mettre en images ce texte de fiction qui va remporter le César du premier film et le prix Jean Vigo. C'est une véritable consécration pour cet ancien ouvrier (il est tout de même titulaire d'un CAP) qui touche à tout, cinéma, roman et théâtre.
Ainsi, il réalise plusieurs longs métrages pour le cinéma et la télévision (entre autres films, Miss Mona, 1986; Camomille, 1988; Pigeon vole, 1996; Marie-Line, 2000; Le Fils de Keltoum, 2002), continue à fricoter avec le roman (Le Harki de Meriem, La Maison d'Alesina) et se lance dans l'expérience théâtrale avec 1962, le dernier voyage, paru dans L'avant-scène et mis en scène par Kader Boukhanef et Azize Kabouche. Son dernier film, Cartouches gauloises, vient de sortir convoquant le regard d'un enfant sur la guerre d'Algérie. Ainsi, l'Algérie est au coeur de l'oeuvre de cet homme qui sait parfois prévoir les séismes, donnant à voir dans son premier roman les lieux cataclysmiques de l'émigration et des banlieues, juste au moment de la marche des «beurs» de 1983. Visionnaire et auteur complet, Mehdi Charef nous invite dans cet entretien à un voyage initiatique dans son univers intérieur, lui qui est venu au cinéma, grâce à son père, à ces grands cinéastes Fellini, Buñuel, Gavras et Chahine qui ont nourri fondamentalement sa formation. Rencontré dans la ville de Béziers (France), il nous livre ses impressions à chaud juste après le débat qui a suivi la projection de son dernier long métrage Cartouches gauloises.
L'Expression: Vous voilà aujourd'hui en train de défendre votre dernier film qui a mis beaucoup de temps à venir au monde...Quel était l'élément déclencheur?
Mehdi Charef: Chaque film que je faisais me tenait à une distance confortable de Cartouches gauloises, ce film revenait, attendait que je m'en occupe comme un enfant qui attend son père et qui veut se faire raconter son histoire et son enfance. Je ne sais pas réellement ce qui a été l'élément déclencheur, je me suis senti un jour prêt à concrétiser mes mémoires et, sentimentalement parlant, c'est encore dur jusqu'à aujourd'hui. C'est un film sur l'enfance, sur le désir d'être et une identité quelque peu meurtrie. L'enfant m'a toujours séduit, permis de plonger dans le monde de l'onirisme et de la fiction artistique. C'est une plongée dans la mémoire. Mon film est le récit d'un petit garçon de dix ans qui a vu son monde changer autour de lui et perdre ses amis l'un après l'autre sans pouvoir faire grand-chose, voilà tout.
En parlant de sentiments, pendant le tournage, comment avez-vous fait pour gérer ce concentré d'histoire et d'émotions caractérisant votre film?
Même si le film n'est pas à100% autobiographique, il y a beaucoup de scènes où, sur le moment, je croyais faire du cinéma, et le soir, le lendemain, j'étais très mal, parce que j'étais allé dans quelque chose que j'avais vécu très fortement, très douloureusement. Lors des débats, je veux dire beaucoup de choses mais je suis souvent submergé par l'émotion. Mais pour ce qui est de l'histoire, ce n'était pas dur car je ne voulais pas faire un film sur la guerre et donc je ne suis pas allé chercher des historiens ou des documentalistes, et cela pour garder à ce film l'âme d'enfant et bannir toute idée de documentaire. La dimension autobiographique n'est nullement absente, l'enfance te submerge d'images où la tendresse et l'émotion t'affectent. Je raconte, certes, à travers le regard de cet enfant l'indicible qui exprime une sorte de mémoire intérieure.
Le film est-il une sorte d'autothérapie?
Vous savez, ce film est finalement une thérapie pour beaucoup de monde et cela se confirme avec les témoignages des pieds-noirs ou des militaires français. Certes, j'ai mis longtemps à le faire et j'ai beaucoup souffert de cette déchirure, mais aujourd'hui je me considère comme indemne car je me suis réconcilié avec mon passé. Cette réconciliation avec le passé, l'enfance, les espaces identitaires fonctionne comme une véritable libération, une extraordinaire charge cathartique. A travers mes films, je cherche à retrouver une certaine tendresse, des lieux marqués par une certaine affectivité. L'émotion investit l'image et lui apporte un surcroit de crédit et de beauté.
Dans Cartouches gauloises vous avez évité de parler de choses qui fâchent...
Je suis conscient de cela, mais je le dis à chaque fois, c'est un film avec le regard d'un enfant de dix ans qui ne savait absolument pas ce que voulaient dire OAS et FLN ou je ne sais quoi. Il est bercé par son innocence, ses instincts d'enfant qui court derrière les choses qui le séduisent.
Passons, si vous le voulez bien, à un autre sujet, le cinéma algérien que vous semblez affectionner. Ce cinéma qui a connu, lors des années de terrorisme, des moments dramatiques, a permis la production de films s'inspirant de cette période, comme ceux des réalisatrices Chouikh et Sahraoui. Qu'en dites-vous?
Je pense que ces deux réalisatrices ont fait un travail remarquable même si je crois qu'il n'y pas assez de cinéastes qui parlent de l'Algérie, ces deux-là ont eu un courage extraordinaire car elles ont su avec brio rendre hommage à la femme algérienne.
Pour ce qui est du terrorisme, je serais intéressé par l'idée de réaliser un film sur les événements qui touchent le pays, mais il n'y a rien de concret pour l'instant.
Est-ce que tous les réalisateurs algériens sont obligés de partir à l'étranger pour faire de bons films?
Franchement oui, car même si l'Etat m'a aidé avec du matériel pour réaliser Cartouches gauloises, il reste toujours la problématique du financement et cela ne se trouve pas en Algérie, on ne dépense pas l'argent pour produire des longs métrages. Donc, les réalisateurs n'ont pas réellement le choix. Entre rester et partir, ils choisissent naturellement la deuxième option qui leur sera dans la majorité des cas bénéfique.
Ces dernières années, on parle de plus en plus de repentance de la France par rapport aux crimes commis en Algérie. Etes-vous d'accord avec les gens qui disent qu'il ne peut y avoir d'amitié sans pardon?
Non, je ne suis pas d'accord puisqu'en demandant pardon à l'Algérie, la France s'autohumilie, mais ce n'est guère admissible de supplier la France pour qu'elle fasse des excuses. Je ne cesse de répéter depuis toujours que l'histoire franco-algérienne est un pur gâchis et à cause de cela, Algériens et Français sont passés à côté de beaucoup de choses. Harkis, pieds-noirs, immigrés, on doit s'aimer et puis c'est tout. Arrêtons de chercher de faux coupables à nos malheurs! Il vaut mieux commencer par le seuil de notre porte.
Poursuivi depuis un an et demi pour injure raciale, après avoir traité des harkis de ´´sous-hommes´´, le président de la région Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, a finalement été relaxé jeudi par la cour d'appel de Montpellier. Que dites-vous de cette affaire?
Je pourrais vous répondre sincèrement, mais j'ai peur que cela déplaise à plus d'un (sourire). Si j'étais fils de harki, sincèrement, j'aurais massacré cet homme car pour qui se prend-il pour les juger ainsi. Je pense que les harkis ont beaucoup souffert et ils ont payé pour ce qu'ils ont fait, donc, qu'on arrête de les malmener.
L'année 2007 a été une superbe année pour vous. Il y a eu la réalisation de Cartouches gauloises, et sa sélection hors compétition au Festival de Cannes ainsi que la réalisation d'un court métrage avec des réalisateurs mondialement connus. Coup de chance ou n'est-ce finalement que du mérite?
On peut dire les deux...Cartouches gauloises est un film qui m'est très cher même s'il n'est pas à 100% autobiographique, car il fallait que je rajoute de la fiction pour en faire un film.
J'ai participé également à la réalisation d'un projet associant plusieurs réalisateurs: Les enfants invisibles, un film qui parle du destin d'enfants issus des quatre coins du monde vu par Spike Lee, Ridley Scott, John Woo, Jordan Scott, Emir Kusturica, Katia Lund, Stefano Veneruso et moi-même. Mon travail consistait à faire la lumière sur des enfants qui sont en guerre en Afrique. Et je ne sais même pas quand le film sortira!
Des projets en cours?
Une pièce de théâtre qui se jouera en France, elle évoquera des phénomènes de la société contemporaine.
Vous seriez prêt à vous déplacer afin de promouvoir et défendre votre film quand il sortira en Algérie?
Oui, sans aucun doute, j'irai en Algérie pour le présenter, je pense qu'il sortira dans 7 ou 8 salles algériennes très prochainement.
Selon vous, si on devait changer, éliminer ou rajouter quelque chose à l'Algérie pour qu'elle aille mieux, ce serait quoi?
Rouvrir toutes les salles de cinéma et relancer le théâtre.


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