Djemila Benhabib est venue présenter au café littéraire de Béjaïa, auquel elle a réservé la primeur, son dernier ouvrage intitulé L'automne des femmes arabes, Chronique du Caire et de Tunis, publié aux éditions Koukou, et qui sera dans quelques jours sur les rayonnages des librairies. Dans cet ouvrage qui s'imprègne de la même matière que les deux précédents, Ma vie à contre Coran et Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident, elle développe «à travers un prisme féministe» les répercussions des révolutions arabes sur la vie des femmes. Au cœur de l'ouvrage, la lancinante question qui est celle de donner un autre prolongement aux luttes pour la démocratisation de ces sociétés rencontrées, ou celle de savoir «comment vivre ensemble au-delà des différences» en lesquelles il faudrait voir plutôt «une richesse». Une telle voie, explique-t-elle à un auditoire captivé, est menée sur deux fronts contigus, l'émancipation des femmes et la séparation des pouvoirs politiques et religieux. Or, Djemila Benhabib dit, au vu des premiers pas des nouveaux pouvoirs islamistes, après leurs victoires aux élections, que l'offre est «incompatible» avec les vraies demandes. Elle en revient à l'exemple de l'Egypte où, étaye-t-elle son constat, les priorités n'auraient pas été finalement de remettre sur pied une économie qui tire la langue, mais d'inscrire des projets de lois qui restreindraient les libertés des femmes. En Tunisie, deux donnes ont des relents politiques, «la résistance pour une projection moderniste et des accointances du gouvernement nahdaoui avec une orientation salafiste». Elle cite en cela une tentative d'intrusion de dogmes islamistes à l'université de Manouba. Dans le débat qui a suivi sa conférence, elle se défend de dédouaner les anciens régimes. Aussi, elle renvoie dos à dos «deux visions qui ont mené à une terrible régression». Elle soutient enfin qu'un refoulement et une frustration en matière d'émancipation des femmes «éclaboussera toute la société». Sur l'incapacité des démocrates à interférer dans les orientations politiques, il est noté chez eux, comparativement aux mouvements islamistes, une asymétrie des canaux de dynamisation conjuguée à l'éparpillement des forces. Auparavant, elle se réfère d'abord à l'Europe où l'on s'était défait d'une fusion du religieux du politique, elle est revenue ensuite sur les possibilités offertes aux sociétés des deux pays par les réformes de séparation, les années 1920 en Egypte et la fin des années 1950 en Tunisie. Il faut dire que le petit amphi de la résidence universitaire, ex-ITE, d'Aâmriw contenait difficilement son monde. Une histoire d'interdiction qui ne dit pas son nom contraindrait épisodiquement leurs activités ; à en croire les animateurs du café littéraire, une telle proscription est due au profil et à la nature de l'engagement de ses hôtes. C'est en ce sens, doit-on croire, qu'une grande salle leur aurait été refusée.