Rached Ghannouchi a fait une intervention sur «sa chaîne télévisée El Moutawassat» pour exprimer son refus à la proposition de Hamadi Jebali de former un gouvernement de compétences indépendantes. Le blocage continue… De notre correspondant en Tunisie Si la centrale syndicale UGTT et les partis Nida Tounes, Al Joumhouri, Al Massar, Ettakattol, Alliance démocratique, Al Moubadara et bien d'autres formations politiques et corporations professionnelles ont déjà exprimé leur soutien à la proposition de Hamadi Jebali, Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahda, oppose une fin de non-recevoir à l'idée d'indépendance de l'équipe gouvernementale. Le chef Hamadi Jebali, comme l'a surnommé Ghannouchi, a pourtant mis l'accent sur le fait que «les membres de ce gouvernement, lui compris, ne se présenteront pas aux prochaines élections». Exception faite d'Ennahda, du CPR et du groupe Wafa, tous les autres partis politiques et organisations professionnelles ont applaudi à la proposition de Jebali, qui va dans le même sens que l'initiative de l'UGTT. Mais cette idée a déplu à Ghannouchi. Le chef du parti islamiste rejette l'idée d'écarter les politiques de l'exercice réel du pouvoir. Dans son intervention sur Al Moutawassit, il reconnaît le passage du pays par une crise et admet, pour la première fois, la nécessité d'un gouvernement de salut national. Auparavant, durant des mois, le président d'Ennahda n'avait de cesse de dire que «le pays n'était pas noyé pour parler de gouvernement de sauvetage». Il répliquait régulièrement que «les difficultés allaient s'aplanir progressivement». Aujourd'hui, sans reconnaître les défaillances de la gouvernance d'Ennahda et sans même admettre explicitement l'existence de la crise, il considère toutefois que «pour sortir de cette situation, le pays a besoin d'un gouvernement de salut national, qui ne saurait être que formé de compétences représentant tout le spectre politique». Ghannouchi insiste sur le fait que la démocratie «se traduit automatiquement par des représentations partisanes dans le gouvernement». Un remaniement «imminent» En guise de solution, il a souligné, dans son intervention, que «des tractations sont en cours avec le CPR, le groupe Wafa, Ettakattol, l'Alliance démocratique et d'autres groupes politiques pour former un gouvernement d'union nationale». Il a conclu en affirmant que «le remaniement ministériel va s'achever de manière imminente». Cependant, comme ce n'est pas la première fois que Ghannouchi fait de telles promesses et vu que les tractations en cours sont plutôt une réponse à la proposition de Hamadi Jebali, non à une proposition de gouvernement d'union nationale, les observateurs se demandent à quel jeu s'active Ghannouchi. S'il est vrai que les blocs Ennahda, CPR et Wafa se sont déclarés contre la proposition du chef du gouvernement, les observateurs estiment que, sans eux, Hamadi Jebali pourrait obtenir la confiance de l'Assemblée nationale constituante, si jamais cette question se posait un jour. Le groupe Ennahda, uni d'habitude, se scinderait en deux. Une bonne trentaine de membres pencheraient alors du côté de Jebali. Il y aurait également des dissidences au sein même du CPR et de Wafa si jamais la question de confiance était à l'ordre du jour, ce qui rendrait sérieusement envisageable l'obtention d'une majorité à l'Assemblée par le projet de Jebali. Toutefois, ce dernier cherche plutôt un consensus autour de son projet, plutôt que de faire de la casse. Dans cet objectif, il y a lieu de déceler les différences entre le projet de gouvernement présenté par Jebali et celui présenté par Ghannouchi. Selon l'analyste Hamadi Redissi, «l'engagement de Jebali à former un gouvernement dont l'équipe ne sera pas partie prenante des prochaines échéances électorales est un gage de neutralité de ce gouvernement, donc de l'administration». Salafistes et nahdaouis : même combat ? L'universitaire considère que cette donnée sera d'une «importance capitale» pour la réussite de la transition démocratique. Mais, encore une fois, tout dépendra de la position du leader d'Ennahda, Rached Ghannouchi, et de la majorité qui le suit au sein du parti islamiste. La principale interrogation concerne toutefois le rapport entre la surenchère et la véracité dans les propos du cheikh. «Pauvre Tunisie, sale politique», regrette Redissi. Hamadi Redissi attire l'attention sur le moment choisi et le contenu de l'appel fait par Abou Yadh aux djihadistes tunisiens en Syrie pour rentrer au pays afin de défendre les acquis de la révolution, menacés par les vestiges du régime déchu. Le leader d'Ançar Chariâ a également fait appel aux djihadistes à l'intérieur du pays de rester sur place et ne pas rejoindre la Syrie ou le Mali. La Tunisie «pourrait devenir une terre de djihad». Donc, après un silence de près de six mois, Abou Yadh est revenu aux premières loges médiatiques et, comme d'habitude, il joue les trouble-fête contre les valeurs de la liberté et de la démocratie. «Ennahda vous dit que si vous ne le suivez pas, vous aurez affaire aux troupes de Abou Yadh. Il s'agit donc d'un autre épisode du même feuilleton que la Tunisie continue à vivre depuis les élections du 23 octobre. A chaque fois qu'il y a blocage, les salafistes sortent sur le terrain pour faire régner la terreur et Ennahda joue les sapeurs-pompiers», explique Redissi. Et pour conclure, l'analyste politique rappelle que «pour faire peur aux Tunisiens, Abou Yadh parle de 12 000 combattants tunisiens en Syrie, alors qu'ils sont plutôt entre 500 et 700, y compris ceux qui ont succombé dans les combats». Redissi croit fermement qu'il y a un partage de rôles entre nahdaouis et salafistes et que cette déclaration d'Abou Yadh n'est qu'une autre page de ce scénario.