Dans une salle bondée, le magistrat Omar Belkherchi devait juger, hier, treize personnes – dont deux en détention depuis le début de l'année 2009, la quatorzième, notaire, est décédée en prison – poursuivies pour «faux et usage de faux, éloignement d'enfants de leurs parents et leur dissipation». En clair, elles sont accusées de trafic d'enfants nés de mères célibataires. Dès l'ouverture du procès, le juge fait l'appel des accusés ; cinq sont absents. Me Omar Mezdour intervient et demande la libération de son client, médecin, maintenu en détention depuis presque trois ans, en disant : «L'affaire a été trop gonflée alors que tout le monde sait que le dossier est vide. On a voulu lui donner d'importance à travers une grande médiatisation par la presse.» Une réflexion qui pousse le magistrat à rétorquer : «Nous n'avons rien contre la presse. Nous sommes pour la transparence. Il n'y a rien à cacher.» Des propos qui offusquent Me Maâchou. «Il n'a jamais été question de viser la presse. Nous disons juste que…», lance l'avocat. Se sentant visé, le magistrat réagit : «Ne m'interrompez pas. J'ai le droit de dire que la presse est libre.» Puis il annonce le report de l'affaire à la prochaine session criminelle. Mais qu'en est-il au juste ? Si l'on se réfère à l'arrêt de renvoi, l'affaire a éclaté en mars 2009 avec l'arrestation d'un médecin généraliste de Aïn Taya qui prenait en charge les mères célibataires, après les avoir dissuadées d'avorter, leur assurant une prise en charge dans une famille (durant la grossesse), l'accouchement dans son cabinet et le placement dans une famille d'accueil des nouveau-nés. Selon l'arrêt de renvoi, en contrepartie de ces prestations, le médecin se faisait payer par les mères célibataires ainsi que par les familles adoptives, en majorité vivant à Saint-Etienne, en France, où il a une résidence. Pour les services de police, le médecin faisait dans «le commerce d'enfants» à travers la procédure de la «kafala» (adoption), établie par un notaire (dans 12 des dossiers, c'est le médecin qui est cité comme témoin) à Bachdjerrah, Alger, avant qu'elle ne soit validée par la justice. L'enquête policière a abouti à l'arrestation de la femme que le médecin chargeait d'accueillir chez elle les nouveau-nés avant de les placer. Trois d'entre eux ont été retrouvés dans son domicile par les enquêteurs. En dix ans, a-t-elle avoué à la police, elle aurait hébergé 25 bébés, avant qu'ils ne soient dans leur majorité placés à l'étranger par le médecin, en contrepartie d'une rémunération. Cette femme, toujours selon l'arrêt de renvoi, aurait déjà fait l'objet de poursuites judiciaires pour une affaire liée à la mort suspecte d'un bébé en son domicile, en 2004. Son procès a eu lieu en 2004 au tribunal de Boumerdès, alors que le médecin était à l'étranger. Devant les enquêteurs, ce dernier nie tous les faits en disant qu'il ne faisait qu'aider les mères célibataires à poursuivre leur grossesse et à placer leurs bébés sans aucune contrepartie. Or, certaines mères célibataires auraient affirmé que leurs nouveau-nés avaient été placés dans des familles sans qu'elles soient mises au courant. Lorsqu'elles ont tenté d'avoir des explications, le médecin qui, faut-il le préciser, n'a pas le droit de pratiquer les accouchements, les aurait menacées de divulguer leurs secrets à leurs familles, lit-on dans certains procès-verbaux devant le juge d'instruction, repris dans l'arrêt de renvoi. Hier, seuls quelques accusés sur les 13 étaient présents à l'audience, alors que les huit témoins, les familles d'accueil, étaient tous absents. Ce qui a suscité le renvoi de cette affaire unique dans les annales de la justice.