La ch'bika, encore appelée dentelle, est une broderie faite d'un enchevêtrement subtil de fils travaillés à l'aiguille. Elles sont des centaines de femmes algériennes, sinon plus, à exceller dans cet art en reproduisant des motifs anciens. En Algérie, la dentelle à l'aiguille, est appelée communément «chbika», en référence au travail minitieux du filet de pêcheur. L' arrivée de ce métier en Algérie reste des plus vagues. D'après la tradition orale, nos aïeules rapportent que cet art est apparu en Algérie suite au naufrage d'une embarcation espagnole, ou portugaise, sur les côtes algériennes. A bord de cette embarcation se trouvaient des femmes de ces contrées lointaines. Ces dernières se sont établies en Algérie et ont retransmis aux habitantes locales cet art du fil. Une autre histoire soutient que les grands-mères ont été initiées à cette broderie, à l'époque ottomane, par les femmes turques ferventes expertes de cet art. Après les premières décennies du XXe siècle, la chbika s'est répandue en Algérie, grâce aux écoles d'apprentissage, à Alger et à travers le territoire national, notamment à Tlemcen, Ténès, Cherchel, Miliana, Médéa, Béjaïa et Constantine. Dans nombre de centres d'apprentissage, différents modèles et échantillons y sont enseignés et exécutés. Cette initiation professionnelle est à la fois un besoin d'apprentissage et une opportunité recherchée par les jeunes filles. Une façon pour elle d'apprendre cet art ancestral tout en en subvenant aux besoins familiaux. Dans l'ouvrage intitulé La dentelle, collection du Musée national des arts et traditions, on découvre que les jeunes artisanes font des modèles intuitivement, sans posséder, au préalable, la connaissance d'identifier la totalité des points et des motifs. La plupart des pièces reproduites sont puisées du milieu environnant de la dentelle, à l'image de la tisseuse et de la potière. Certains artisanes se plaisent à reproduire des formes géométriques inspirées de la tradition recueillie oralement de génération en génération. Toujours selon l'ouvrage consulté, il est stipulé qu'à Alger, la dentellière utilise un vocabulaire en relation avec la vie quotidienne. A titre d'exemple, on retrouve le petit triangle, dénommé « swimssa», le losange désigné par le terme «makrouta», le papillon «faracha» ou encore le nid de pigeon «euche lehmam». Autre jargon : Le «slilem» n'est autre que la petite échelle ou encore «asfili» qui signifie le bas, en parlant des bordures de l'ouvrage. L'œuvre, en elle-même, peut également se décliner sous la forme d'une variété de techniques d'ornements, réalisée suivant l'intuition et la créativité individuelle de la créatrice. Cette dernière dévoile d'autres interprétations, dont la signification a été perdue, ou modifiépar le langage. Dans la ville de Cherchell, la dentellière désigne la chebika par le terme «el randa» : nom donné à la dentelle en langue portugaise et à une ville espagnole. L'artisane chercheloise se plaît à raconter son vécu et son quotidien à travers son métier avec une pointe de nostalgie. Elle se remémore les moments et les circonstances d'apprentissage qu'elle a passés à l'atelier de broderie. Ce dernier était géré, durant les années quarante, par des sœurs chrétiennes. Certains motifs ont perdu leurs attributions nominatives. D'autres ont gardé leur noms initiaux, tels que «el khamsa», «el wrikate» ou «adissette». La fleur du jasmin «yasmina» est le seul motif floral omniprésent dans toute œuvre d'une dentellière. En somme, la dentelle faite à l'aiguille fait partie intégrante d'un héritage culturel déterminé. En Algérie, ce métier, qui demande de la rigueur et de la précision dans le détail, tente de renaître de ses cendres. En effet, des mères essaient avec succès de retransmettre cet héritage séculaire à leurs filles. Les centres d'apprentissage sont également d'un apport appréciable pour la transmission de ce savoir-faire. En outre, le Musée des arts et traditions à La Basse-Casbah s' est assigné pour mission essentielle de préserver ce legs. Ainsi, les œuvres en «chbika» du Musée sont diversifiées, comportant des pièces d'habillement et d'ameublement et un catalogue présentant des échantillons répertoriés et classés. Afin de préserver cet art, héritage de la présence ottomane, le musée a programmé des cours d'apprentissage à l'attention des élèves exclues du cycle scolaire, Il est à noter, que le Musée des arts et des traditions d'Alger abrite jusqu'au 25 de ce mois, une exposition de «ch'bika», signée par l'artisane Zahia Boustia. Cete dernière présente des articles avec festons qui ornent les bords des «haïks» et le bas des voilettes « âdjar». Napperons, nappes, dentelles pour les armoires sont autant de pièces proposées pour le plus grand bonheur des connaisseuses. L'exposante a déploré le fait que, par le passé, la chbika ait connu un déclin, mais qui aujourd'hui renaît de ses cendres : «Nous avons constaté un désintérêt de la chbika, et la demande baisser même chez les futures mariées, alors que c'était un élément essentiel de son trousseau. Heureusement depuis quelque temps, nous observons un retour aux sources, puisque les demandes sont nombreuses.»