Partir, c'est mourir un peu. Sortir, c'est tenter de vivre. Nouria Bent El khaïr (Fatima Bouchemal) et Kheira Bent Nouari (Sabrina Korichi) sont deux épouses malheureuses dans Kharjet (Elle est sortie). Annaba De notre envoyé spécial Une pièce mise en scène par Tounès Aït Ali et écrite par Lâamri Kaouane, présentée mardi soir au théâtre régional Azzeddine Medjoubi de Annaba, à l'occasion du 2e Festival national du théâtre féminin. Deux femmes qui décident de se révolter contre un époux qui déçoit. Quelque peu traditionaliste, Kheira ne veut pas que son «homme» fasse le travail de «femme» : la vaisselle, le ménage... Elle est en quête d'une certaine virilité, celle qu'elle a imaginée. Femme d'intérieur, Kheira ose «la rébellion» et sort en dehors de la maison. Nouria, qui semble être une femme émancipée, veut le contraire. Que son époux l'aide dans les travaux ménagers, s'occupe un peu d'elle. Deux univers ? Deux conceptions du monde ? On peut le penser. Nouria et Kheira se retrouvent par pur hasard dans une gare ferroviaire. Elles attendent le train. Et les trains passent sans qu'elles partent. Envie de retour à «la chaleur» du foyer ? L'extérieur n'est jamais rassurant. Kheira, qui chique comme le faisaient hier les femmes des Hauts-plateaux, et Nouria qui fume comme les dames de ville discutent entre elles. Parlent de leur vie conjugale, de leurs déceptions, de leurs fantasmes... Paroles de femmes dans le bruit d'une gare. Le téléphone portable qui, comme chacun le sait, noue et dénoue les relations dans le monde contemporain, devient un allié pour les deux candidates au voyage chagrinées. Il devient un ennemi aussi. Le SMS n'est-il pas devenu le vecteur «essentiel» des amours naissantes, des amours surfaites ou des amours fausses ? Tant de femmes ont vu partir les hommes qu'ils ont aimés comme les trains qu'ils ont ratés dans le brouillard de la nuit. Kherjet est une pièce plaisante, légère et actuelle. Le ton comique adopté par les deux comédiennes a beaucoup plu au public d'Annaba. La scénographie représentant un décor d'une gare a soutenu le jeu correct des deux actrices qui sont une véritable découverte pour les présents. Le texte, bien écrit par Lâamri Kaouane (qui a l'habitude de travailler avec Tounès Aït Ali), existe depuis quatre ans. «Nous l'avons joué en français à Paris avec notre compagnie. Entrés en Algérie, nous l'avons présenté à Jijel. Le spectacle s'est arrêté à cause de mon accident. Puis, nous avons pensé à le reprendre avec le théâtre régional de Guelma. Il est difficile de trouver des comédiennes en dehors des grandes villes. Certaines actrices ont toujours peur de toucher à la chorégraphie et au jeu», a expliqué Tounès Aït Ali lors du débat qui a suivi la représentation. Sabrina Korichi a, selon elle, joué pour la première fois un rôle complet dans Kherjet. Idem pour Fatima Bouchemal. «Elles n'ont jamais dansé. On s'est investi avec elles. Elles ont fait un grand effort», a-t-elle appuyé. Pour Lamri Kaoune, il n'est pas nécessaire d'aller puiser l'histoire dans la fiction. «Des cas de Nouria et de Kheira existent en société. Et ils sont nombreux. Beaucoup de femmes quittent, forcées, le foyer conjugal. Chaque jour», a-t-il souligné saluant le travail de mise en scène de Tounès Aït Ali. Tounès Aït Ali, qui est également comédienne, a, elle, préféré parler de «performance» dans la pièce Kherjet. «Lorsque Nouria et Kheira ont décidé de sortir, elles ont également décidé de se révolter. Ce n'est pas évident dans notre société où des femmes mariées d'un certain âge, après une longue vie conjugale, sortent. Lorsqu'on sort du foyer, on quitte la société, parce que l'on est vu autrement après. Aujourd'hui, la femme est révoltée, elle peut toujours sortir. Mais, ce n'est pas facile à l'intérieur du pays. Aujourd'hui, il y a des femmes qui se cachent, des femmes battues, des femmes interdites de sortie par leurs maris, des femmes empêchées d'aller à l'école», a soutenu Tounès Aït Ali.