L'Académie du cinéma des arts et des sciences, Ampas, a décerné, la semaine dernière, pour sa 85e édition, l'Oscar 2013 du meilleur film au thriller Argo de Ben Affleck. Mais le suspense a été entretenu par le talentueux humoriste Seth McFarlan d'ABC qui retransmet, depuis 1976, cette liturgie. Un sacrement célébré par les grands prêtres-producteurs d'Hollywood et leurs homologues de la finance et de la consommation. Figurez-vous qu'un spot de 30 secondes a coûté la bagatelle de 1,8 million de dollars. De mémoire d'annonceur, jamais les tarifs n'avaient atteint un tel montant. En 2012, cette grand-messe du cinéma avait réalisé 90 millions de dollars de recettes, dont plus de 50 millions dans l'escarcelle d'ABC. Cette année, ce vieil Oscar s'est offert le luxe suprême de convoquer, par la voix de l'excellentissime Jack Nicholson, pour la circonstance, en direct, «the first lady», en duplex depuis la Maison-Blanche, s'il vous plaît. C'est Michèle Obama, «herself», avec sa frange qui lui masque le front depuis «son» second mandat, coquetterie capillaire, qui a fait couler des hectolitres d'encre et fait gloser les meilleurs relookers, qui a prononcé la fameuse phrase : «And the Oscar goes to... Argo !», s'est exclamée la plus puissante épouse du monde. A ce moment-là, de l'autre côté de la planète, à 12 185 km, plus précisément à Téhéran, Ahmed Husseini, ministre iranien de la Culture, n'a pas du tout apprécié le choix des 5100 académiciens de l'Ampas. Assemblée dont les noms demeurent secrets, et constituée à 94% de Blancs, où les Noirs ne représentent que 2% et à 77% mâle. Argo, dont le DVD se vend dans toutes les bonnes «pirathotèques» d'Alger, raconte comment en novembre 1979, quand triomphait la révolution khomeyniste, les étudiants islamistes pénétraient dans l'ambassade américaine de Téhéran pour prendre 52 diplomates en otages. Mais six d'entre eux parvinrent à se debiner et trouver refuge au domicile de l'ambassadeur du Canada. Un spécialiste de l'exfiltration de la CIA échafaude un improbable stratagème pour tirer d'affaire ses six compatriotes... Le ministre de la République islamique, de même que la presse iranienne ont considéré cette élection comme une provocation : «C'est la soft war culturelle que nous ont déclarée depuis longtemps les Américains qui se poursuit», a affirmé M. Husseini. Il envisage même de «produire un film en réponse à la vision déformée qu'est la version américaine». A rappeler que les Iraniens ne sont pas manchots en matière de cinéma et que leur talent est incontestable. A mon avis, le niveau d'Argo est médiocre. Son scénario est des plus communs, des séquences convenues, un suspense final qui se moque des faits réels. Les Canadiens qui ont donné refuge aux fuyards sont pratiquement absents sinon pour donner la réplique comme dans une pièce de théâtre italien. A relever aussi la rocambolesque poursuite, à l'aéroport de Téhéran, entre les méchants Iraniens et les gentils Américains. Plus caricaturale est, selon moi, la description au cutter de l'Iran, des Iraniens et de l'Islam. J'ai séjourné dans ce pays à l'époque où est censée se dérouler l'action du film, j'avoue tomber des nues tant est grossière l'image qui en est donnée. Il est vrai qu'entre-temps, il y a une guerre du Golfe (Iran-Irak), le 11 septembre ; deux guerres du Golfe ; l'Afghanistan ; 6 présidents pour 11 mandats... Quelle charge historique ! La critique, les oscarologues en particulier, est unanime pour dire que c'est là un choix politique en faveur d'un film politique, annoncé par une personnalité politique, dans le temple de la politique américaine qu'est la Maison-Blanche. Hollywood a toujours écrit l'histoire des Etats-Unis et même des autres pays du monde, avant que s'en emparent les historiens eux-mêmes. Pour rappel, en 1980, le président Carter avait ordonné l'opération «Eagle Claw» (serres d'aigle) pour libérer ses ressortissants. L'entreprise se solda par un fiasco. Mais Hollywood, cette manufacture à héros depuis Davy Crockett et maintenant Tony Mendez, a la mémoire sélective. La défaite ne fait pas recette. Naguère, pour rafler primes, trophées et prix, il fallait s'intéresser au terrible drame des juifs et à la Shoah. De nos jours, brocarder l'Islam ou vilipender les Arabes sont des gages de réussite dans le landernau du 7e art. Question : l'Algérie, qu'a-t-elle réalisé depuis 1981, au moins un docu-fiction, ne serait-ce qu'en hommage à Mohamed Seddik Benyahia, alors ministre des Affaires étrangères, qui avait, à la demande des Etats-Unis, déployé des trésors de diplomatie pour résoudre la crise ?