Depuis quelques jours, il faut se lever très tôt pour trouver un sachet de lait, alors que l'Algérie dépense 800 millions de dollars pour l'importation de la poudre de lait. Le premier responsable du secteur fait le point. -Pourquoi des tensions persistent sur le sachet de lait ? Il n'y a pas de tension. Actuellement, la laiterie Colaital de Birkhadem, qui produit plus de 400 000 litres/jour, est à l'arrêt, à cause d'un conflit syndical. Nous avons réagi en redistribuant à six autres laiteries (2 publiques et 4 privées) les quantités de poudre de lait qui lui étaient destinées pour compenser les conséquences de cet arrêt. Par ailleurs, nous avons mis en place un stock de sécurité qui couvre trois mois de consommation pour faire face à toute surprise. D'ailleurs, lors des deux derniers mois de Ramadhan, il n' y a pas eu de tension sur le sachet de lait, alors que c'est la période où la consommation est très importante. Nous avons pu faire face à cette demande en distribuant 15% de poudre en plus. En revanche, il est vrai que les Algériens ont été confrontés, durant cette période, à un problème de disponibilité du produit dans certains quartiers qui est lié aux mauvaises habitudes de quelques distributeurs, qui préfèrent faire la grasse matinée. -Comment pouvez-vous être sûr que les stocks de sécurité ne seront pas avariés, vu l'état de vos entrepôts ? Nos entrepôts sont équipés pour des conditions de stockage normal. Il ne faut pas oublier que nous devons faire face à de fortes chaleurs en été, ce qui complique les conditions de stockage. Pour éviter tout désagrément, nous avons décidé d'importer un gaz qui permet de garantir, à l'intérieur de l'entrepôt, une température constante de 25 degrés, ce qui assure à la poudre une totale protection pendant une année. -L'Algérie reste l'un des principaux importateurs de poudre de lait, alors que l'Etat dépense des fortunes pour développer la filière du lait… Effectivement, l'Algérie reste l'un des plus importants importateurs de poudre de lait dans le monde. Cette situation s'explique par le fait que tous les efforts consentis dans les années 1970-1980, dans le développement de la production agricole, essentiellement dans l'élevage de vaches laitières, ont été anéantis par les années de terrorisme. Il a fallu attendre les années 2000 pour voir un redémarrage de la filière et c'est en 2008 qu'a été mise en place la politique du renouveau rural qui a favorisé le retour des éleveurs sur leurs terres. D'autre part, les Algériens ont changé leurs habitudes alimentaires, puisqu'ils ont remplacé les protéines animales trop chères par les protéines laitières. Ce changement a entraîné une plus grande consommation des produits laitiers. -L'Etat tente de mettre en place une production nationale de lait cru, sans trop de succès… Je ne suis pas d'accord. Avec la nouvelle politique de renouveau agricole mise en place par le ministère de l'Agriculture, les résultats sont plutôt encourageants, même si certaines résistances demeurent. Aujourd'hui, il y a plus de 32 000 éleveurs et 154 laiteries qui travaillent dans la production du lait cru et le cheptel bovin s'élève à 966 000 têtes et comprend des races locales et importées. Mais toute la production de lait n'est pas collectée. C'est pour cela que le ministère insiste pour organiser la filière et réunir tous les intervenants pour permettre de mieux appréhender les problématiques de développement. L'Algérie produit actuellement 3 milliards de litres de lait, alors que cette quantité était de 2 milliards l'année précédente. -Mais certains experts doutent de cette politique, car l'Algérie est un pays semi-aride… Pour moi, c'est un défi réalisable. Je ne prétends pas que nous arriverons à l'autosuffisance dans les cinq prochaines années, mais nous sommes obligés de diminuer nos importations. Les pays voisins, qui ont pratiquement le même climat que le nôtre, sont arrivés à une certaine autosuffisance dans la consommation de lait. S'ils peuvent le faire, il n' y a pas de raison pour que nous n'y arrivions pas, d'autant que nous avons plus d'étendues de terre que ces pays. Nous nous appuyons également sur l'expertise de certains pays, tels les Pays-Bas et la France, pour développer une technologie de la production laitière. -Le lait cru collecté est essentiellement destiné à la fabrication du yaourt. L'Etat ne serait-il pas en train de faire le jeu de cette filière ? La filière du yaourt fait partie de celle du lait. Toutes les quantités récoltées ne sont pas utilisées pour en faire du yaourt. Et même si c'était le cas, je ne vois pas pourquoi ce serait préjudiciable pour l'Etat dans la mesure où il n'y a pas d'inconvénient à ce que tous les fromages et les yaourts soient fabriqués à partir du lait cru, car ce sont des devises économisées pour l'Etat. Par ailleurs, les grandes unités privées importent généralement leur poudre à elles et font leur propre élevage. -Ne faut-il pas revoir le système de subventions à outrance pratiqué par l'Etat ? Au départ, il fallait aider les éleveurs à revenir vers la filière laitière. Cela impliquait des aides attractives que l'Etat devait consentir pour favoriser ce retour. Il fallait faire comprendre à ces éleveurs qu'on pouvait vivre de cette profession. Il faut permettre aux petites exploitations de 3 ou 4 vaches de s'agrandir pour produire plus. Nous encourageons une plus grande productivité. Cette politique implique d'injecter de l'argent. Pour l'heure, nous n'arrivons pas à obtenir une productivité qui couvre les besoins nationaux, mais nous avons bon espoir. Cependant, ces subventions ne pourront pas éternellement être consenties par l'Etat. -Jusqu'à quand l'Etat va continuer à céder le sachet de lait à 25 DA, alors que son coût réel est de 40 DA ? En tant que directeur général de l'Onil, j'ai pour mission de développer la production nationale pour diminuer les importations. Ce qui touche au prix du sachet de lait n'est pas de la compétence de l'office que je dirige. Nous appliquons la politique de l'Etat dans le cadre de nos prérogatives et, à ma connaissance, le sachet de lait continuera d'être vendu au même prix. -On continue d'accuser l'Onil de favoriser les laiteries publiques… Faux. Comment peut-on accuser l'Office national interprofessionnel du lait de favoriser les laiteries publiques, alors que nous avons signé des conventions avec 116 laiteries, dont 101 sont privées et seulement 15 publiques ? D'ailleurs, les transformateurs privés ont 10 à 15% de poudre de plus que ceux du public. -On vous accuse également d'importer une poudre de lait de mauvaise qualité … L'Onil importe la meilleure poudre vendue dans le monde. L'office est tenu par un cahier des charges d'acheter la meilleure qualité disponible sur le marché. Nous importons notamment d'Australie et de Nouvelle-Zélande. -A combien estimez-vous le pourcentage de poudre importée, revendue dans le circuit informel ? Je peux vous assurer que la poudre qui est vendue sur le marché informel ne provient pas de celle que nous importons. Car, depuis deux ans, le ministère de l'Agriculture a mis en place une commission interministérielle qui est chargée, chaque année, d'élaborer un cahier des charges qui doit être accepté par les laiteries qui veulent obtenir de la poudre de lait. Les contrôles sont très stricts et les quantités de poudre distribuées aux laiteries sont en fonction de leurs capacités de production. Nous avons aujourd'hui les moyens de contrôler leur production grâce à un logiciel informatique et aux brigades de contrôle qui vérifient les chiffres et la qualité du lait vendu sur le marché.