Pour apprécier les conséquences d'un système financier sur l'économie réelle, il faut se rappeler ses raisons d'être, le pourquoi de son existence. Certes, les sources de son essence sont multiples et complexes : mais deux raisons s'érigent comme les fondements principaux de sa création. La première est évidente, visible et enseignée dans tous les programmes de finance. Au sein d'un pays, il y a toujours des agents économiques qui connaissent généralement des surplus financiers (principalement des ménages mais accessoirement des entreprises) ; d'autres ont des besoins constants de financement (surtout les entreprises). Le système financier canalise les épargnes des agents en surplus à destination des entités qui ont un besoin de financement. Il faut savoir que les fonds propres des entreprises ne financent que 20 à 30% des grandes entreprises industrielles. Le reste est constitué de dettes. Ces dernières sont le moteur de la croissance et du développement. Mais la seconde raison d'être est plus imperceptible. Cependant, elle est centrale au mode de fonctionnement économique des nations. Le secteur financier participe à l'allocation efficace des ressources : les bonnes entreprises (publiques ou privées) bénéficient de crédits et se développent. Les entreprises mal gérées ou qui ont perdu leurs marchés se voient privées de crédits ; et on accélère leur faillite afin que d'autres entreprises efficaces naissent en utilisant leurs actifs. Un mode de fonctionnement bizarre Le secteur financier tend à être pernicieux au sein de toutes les économies, mais d'une manière différente. Dans les pays développés, le secteur s'est autonomisé. Il fabrique des profits à partir de ses propres produits qui ont de moins en moins de liens et d'impacts sur l'économie réelle. Il devient une fin en soi et oriente dangereusement les économies modernes vers des crises sans fin. Nous n'avons pas ce problème en Algérie. Par contre, nous en avons un autre encore plus grave : l'allocation des ressources. Nous avons un système financier, à 90% public, qui consacre l'essentiel de ses activités à l'importation et un volume important de ses crédits à financer les entreprises publiques déstructurées qui n'ont aucune chance d'améliorer leur efficacité et de rembourser leurs crédits. Il y a deux observations majeures à faire ici. Un Etat choisit de garder un secteur public bancaire pour financer des activités stratégiques pour le pays. L'importation et la revente en l'état sont-elles stratégiques pour nous ? Pourquoi ne pas les élaguer au secteur privé ? En second lieu, il ne peut pas y avoir une économie de marché sans la contrainte d'efficacité. Lorsqu'une entreprise de construction (publique ou privée) qui dégage des bénéfices est taxée pour subventionner une entreprise publique du même secteur, les règles de jeu sont faussées. Aucun pays ne peut fonctionner ainsi. Une entreprise défaillante doit être mise en faillite. On peut la restructurer de sorte à récupérer l'outil de production et faire en sorte qu'aucun cadre ou travailleur ne restera sans ressources avant de l'avoir positionné sur un autre emploi avec le même salaire. Techniquement, c'est faisable. Mais, au lieu de cela, les adeptes des subventions tous azimuts préconisent des traitements financiers sans fin. Nous n'avons pas de données exactes. Les estimations sur la valeur des assainissements et des crédits non remboursées, de 1990 à ce jour, se situeraient entre 60 et 140 milliards de dollars. Il s'agissait de sauver 400 000 emplois et une production de 13 à 15 milliards de dollars par an procurés par ces entreprises. Une somme de 60 milliards de dollars injectée dans la croissance des entreprises performantes et en créant de nouvelles aurait permis la création de 4 millions d'emplois et une capacité de production de plus de 35 milliards de dollars par an. Les adeptes des assainissements — sans le savoir et sans le vouloir — sont les premiers responsables de la détresse de notre jeunesse, dont une frange se noie en mer à la recherche d'un emploi décent. Revoir les priorités : créer de l'emploi et de la richesse Nous assistons à un débat sans fin sur la modernisation du secteur bancaire. Nous sommes en retard sur la monétique et de nombreuses autres opérations bancaires. Des progrès ont été réalisés. Beaucoup reste à faire. Mais on parle rarement du problème le plus sérieux qui afflige notre secteur financier : les mécanismes d'orientation des ressources. Nous avons un secteur ambivalent : super libéral pour les importations et trop gauchiste pour l'affectation des ressources aux entreprises productives. Il privilégie l'importation et les entreprises malades. Les secteurs financiers publics des économies de marché efficaces font des choix tout à fait contraires : ils développement les entreprises qui créent de la richesse et de l'emploi, mais les bonnes, non celles qui gaspillent les ressources des citoyens. Alors, les priorités des réformes du secteur financier dans notre contexte sont claires, il s'agit : 1- d'élaguer le domaine d'activité importation en l'état aux banques privées ; 2- de transformer (par une ingénierie financière adéquate) plus de la moitié des banques commerciales publiques en banques d'investissement. Techniquement, cela est possible ; 3- financer les entreprises publiques et privées qui réussissent en plus d'en aider à créer d'autres ; 4- traiter une fois pour toutes les entreprises déstructurées impossibles à redresser. On récupère l'outil de production sous d'autres formes. On donne des crédits aux cadres et travailleurs pour créer leurs propres boîtes, on forme et on place le reste. Personne ne sera laissé sans ressources. Aucun ne perdra dans cette situation. Les priorités du secteur financier sont les mécanismes d'affectation des ressources. Il s'agit de mettre en avant les grands préceptes qui guident ces réformes. Le principe numéro un devrait être le financement prioritaire des entreprises privées et publiques productives efficaces, sans discrimination aucune. Le second devrait être la mise en place d'une ingénierie managériale pour traiter les entreprises publiques budgétivores, de sorte à conserver l'outil de production et ne laisser aucun membre sans ressources jusqu'à son positionnement. Les grands gagnants seraient tous les citoyens et particulièrement nos jeunes qui trouveraient des emplois chez eux au lieu de se noyer en mer, en les cherchant ailleurs.