Le moment fort du discours de Bouteflika, tenu hier à l'auditorium de l'université islamique Emir Abdelkader de Constantine, a été le passage où il se démarque de son appartenance au FLN et à l'Alliance qu'il a critiquée sévèrement. « Je préside une coalition, mais je reste indépendant », a-t-il dit. S'adressant aux représentants de deux partis présents dans la salle et les désignant même du doigt (Abdelaziz Belkhadem et Bouguerra Soltani), il a lancé : « Je le dis devant vous : arrêtez de vous chamailler. Les partis de la coalition ne font la politique qu'à l'occasion des élections et ne sont même pas capables de défendre les décisions qu'on prend ensemble face au peuple. » Ce qui le place évidemment au-dessus de toutes les composantes politiques aux commandes du pays. C'est à l'occasion d'un colloque intitulé « Démocratie en Algérie, réalités et perspectives », le 7e du genre, organisé par la fondation Ibn Badis, que le Président a tenu son discours. La première édition a été parrainée par lui, ce colloque deviendra une tradition ayant lieu le 16 avril, Youm El Ilm. Parlant des personnalités de Constantine, il visera Ahlem Mostaghenemi, disant que même si elle porte le nom de Mostaghenemi, elle est constantinoise. Après avoir fait les éloges de la région de Constantine, « cette capitale de l'est de notre cher pays », il a voulu « contribuer au colloque » avec quelques réflexions en tant que moudjahid dans les rangs de l'ALN et en tant responsable politique de l'Algérie indépendante. Il parlera de cheikh Abdelhamid Ben Badis, cette « figure emblématique de la démocratie dans notre pays », qui « sera pendant dix ans, après avoir créé l'Association des Ulémas musulmans algériens en 1931, le maître d'œuvre infatigable d'un pluralisme démocratique unifiant sur le terrain politique, mais aussi dans le domaine culturel ». En ce sens que « l'Association accueillera dans ses rangs des Algériens de tendances politiques très diverses, des partisans de Messali Hadj, de Ferhat Abbas et même des communistes, à la seule condition qu'ils se revendiquent de l'Islam ».Il a relevé aussi le côté assumé par cheikh Ben Badis de « la dimension amazighe en tant que pilier de notre identité nationale », preuve en est « la signature qu'il apposait au bas de ses articles dans Chihab, Ibn Badis El Sanhadji ». Il a fait donc remonter l'existence de la démocratie et l'ouverture pluraliste, non pas à 1989, mais loin dans l'histoire, car, « la démocratie a été intimement liée à la revendication de l'indépendance nationale », ajoutera-t-il. Mais « à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les trois principales composantes du mouvement national menées respectivement par Messali Hadj, Ferhat Abbas et l'Association des ulémas musulmans algériens, présidée par cheikh Bachir Ibrahimi, impulsent une formidable mobilisation populaire dans le cadre des Amis du manifeste et de la Liberté pour réclamer l'instauration d'une République algérienne... ». Puis vinrent le 8 mai 1945, le 1er Novembre 1954, où « le FLN unifie les rangs », et où « la priorité donnée à l'unité sur la diversité ne procède évidemment pas d'une désaffection à l'égard de la démocratie, mais d'un souci d'efficacité rendu indispensable par les contraintes d'une lutte particulièrement difficile et meurtrière »...Il n'empêche que, plus encore, pour lui, « ce serait une contre-vérité que de dire que l'Algérie politique post-indépendance a été une dictature imposée au peuple algérien », car, « jusqu'à la fin de la décennie 1970, le système politique algérien peut être qualifié d'authentique expérimentation démocratique nationale et sociale, notamment en généralisant l'instruction, l'emploi et la santé ». Il dira enfin a posteriori bien entendu que « le seul reproche qu'on puisse faire aux concepteurs de ce système politique est d'avoir versé dans une vision idéaliste ». Il revient à la dernière expérience démocratique vécue, disant que « la terrible crise que nous venons de traverser est d'abord due au fait que notre pays a manqué, à un moment crucial de son histoire, d'hommes et de femmes capables de concevoir et de mettre en pratique cette nouvelle inflexion en direction d'un pluralisme démocratique mais rassembleur ». Pour convaincre du fait que la démocratie peut bien avoir cours dans le giron d'une société musulmane, ou du fait qu'on puisse concilier les deux, il citera l'exemple de la Malaisie et celui de la Turquie, car « évidemment, la démocratie n'est pas une religion et l'Islam n'est pas un système politique ». Il a insisté encore sur le fait que « la démocratie en Algérie est une réalité ancienne qui a connu des mutations diverses ». Et d'ajouter : « La dernière en date a été difficile, tragique et terriblement douloureuse. La mise en œuvre de cette dernière mutation est en voie d'achèvement. Malgré la persistance résiduelle de groupes armés qui seront vaincus par la volonté de Dieu Tout-puissant, qui nous impose de ne pas relâcher notre vigilance, nous nous installons de manière de plus en plus cohérente dans une vie démocratique pluraliste. » Puis, il a dressé un tableau optimiste ou, disons-le carrément, tout rose ou un bilan depuis 1999. D'abord, « à tous les niveaux, les élections se déroulent régulièrement », puis « des partis politiques exprimant les différents courants d'opinion de notre société mènent leurs activités dans le respect de la diversité et de l'ordre public », et puis encore, « une presse d'une grande liberté de ton informe, commente et critique ». Cependant, s'il est satisfait du bilan accompli, « tant que des hommes et des femmes resteront en marge de la communauté nationale », il sera, « comme l'immense majorité de mes compatriotes, frustré et circonspect quant à l'irréversibilité du processus de démocratisation dans notre pays ». Aussi a-t-il proposé au peuple algérien une charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il revient sur le fait que « la démocratie n'est pas une religion » ni « pour nous, en tout cas, la valeur suprême ». Puis s'étalant sur le sujet, il en arrive à dire : « Je suis convaincu que la démocratie n'est pas celle des capitales étrangères, pas celle des plumes mobilisées au service de l'ambassade de ce pays ou un autre, pas celle des fêtes dans ces ambassades. » Cependant, il citera en exemple la démocratie en Irak et en Palestine, ajoutant que dans ce pays, il y a « une démocratie et demie, oui, une démocratie et demie, nous avons beaucoup à apprendre ». Il rappellera un fait qui l'a certainement exacerbé : « A un jeune qui criait d'une manière hystérique ‘'hagrouna, hagrouna''... Je lui ai demandé ce qu'il avait à crier ainsi, il me répondra : il nous manque une mosquée. Mais il y a plus de 100 000 mosquées ! Et puis tous les terrains, toutes les rues sont des mosquées. Au lieu de parler de l'informatique, de la génétique et de notre situation dans le monde. » Il relèvera, non sans amertume dans le ton, un autre fait, disant : « Tout à l'heure un jeune lançait visa, visa... » Et bien, je lui dis : « Ciao bello !, Ciao bello ! Ciao bello ! » Bouteflika n'a pas manqué d'évoquer le nationalisme, les jeunes des années 1990 auront, selon lui, beaucoup à apprendre dans ce domaine. A. B.