Cacophonie gouvernementale sur la révision de la Loi fondamentale. Deux ans après la promesse de révision de la Constitution, annoncée par le chef de l'Etat dans foulée des insurrections populaires dans la sphère régionale, en avril 2011, l'équipe aux commandes des affaires du pays se permet des imprécisions et parfois des contradictions sur les contours et le calendrier du projet. Un Premier ministre qui déclare une chose et un ministre de l'Intérieur qui affirme le contraire. Abdelmalek Sellal, à partir de Béchar, vient d'assurer qu'«il y aura bientôt une révision de la Constitution». Cinq jours auparavant, à partir des Emirats arabes unis, Daho Ould Kablia a déclaré, dans une interview à la chaîne saoudienne El Arabiya, que «les comités chargés de préparer le dossier travaillent encore. On s'attend à dégager les aspects de l'amendement constitutionnel d'ici la fin 2013». Qui croire ? Dans les deux cas, les deux responsables-clés du gouvernement de Bouteflika restent vagues sur le calendrier. Le Parti des travailleurs – un des forts soutiens à «la politique de Bouteflika» – en rajoute une couche en suggérant de différer le projet à l'après-présidentielle. Sur le fond, la confusion non plus n'est pas levée. Le Premier ministre, qui avait reçu plusieurs partis politiques dans le cadre de consultations informelles, est resté évasif sur la forme que prendra la future Constitution. Révision en profondeur qui bousculerait l'architecture du pouvoir ou simples aménagements ? Le gouvernement ne donne aucune indication. Même la voie par laquelle passera cette révision n'est pas encore arrêtée. Référendum populaire ou adoption par le Parlement ? Sans boussole politique, le pouvoir navigue à vue. Et c'est tout le pays qui ne sait pas où il va, si tant est qu'on ait l'intention de le mener quelque part. Tant et si bien d'ailleurs que la question se pose sérieusement, aujourd'hui, sur l'existence d'une réelle volonté au sommet du pouvoir de tenir l'engagement pris par le chef de l'Etat devant la nation lors de son discours du 15 avril 2011. Tout se passe comme si le pouvoir lui-même ne ressentait plus la nécessité d'engager des réformes sérieuses, encore moins de réviser la Constitution. Les pressions nées des soulèvements populaires qui ont remué ciel et terres arabes ne sont plus les mêmes. La classe politique est complètement atomisée, conséquence d'une vie publique vigoureusement plombée. Dans ce climat politique faussement stable, les décideurs se sont offert le luxe de ne pas soumettre la question à un débat national en enfermant ce «projet-ovni» dans les salons feutrés du pouvoir. La révision de la Constitution, si elle a lieu, ne sera sans doute pas la synthèse d'une confrontation d'idées et de projets politiques, mais un texte élaboré dans les arcanes du sérail, imposé par le haut. Elle tiendra compte exclusivement des rapports de force à l'intérieur du régime, au détriment d'un réel désir de changement exprimé par les différentes composantes de la société. De nombreux acteurs politiques et sociaux, qui ont eu dès le départ un préjugé défavorable sur la question, estimant que les décideurs ne vont pas aller dans le sens de l'ouverture, trouvent là de quoi conforter leurs appréhensions. D'aucuns jugent en tout cas que la énième trituration de la Constitution est fondamentalement suspendue aux arrangements entre les différentes composantes du régime, aux fins de régler la question de la succession, à une année de la présidentielle de 2014. Cette échéance politique semble devenir elle-même l'enjeu central de la révision constitutionnelle. Ou non. L'énigme Bouteflika
A l'approche de l'élection présidentielle, le mystère reste entier tant les intentions de l'actuel locataire d'El Mouradia sont couvertes d'un épais brouillard. Cèdera-t-il le pouvoir en 2014 ou briguera-t-il un 4e mandat à plusieurs points de vue intenable ? Tentation monarchiste ? Enivré par le pouvoir, Bouteflika entendrait «gouverner» à vie… surtout après avoir fait sauter le verrou limitant les mandats présidentiels à la faveur de la révision constitutionnelle de novembre 2008. Une présidentielle si proche, si lointaine… Excepté Ahmed Benbitour, pour le moment, aucune personnalité politique ne se hasarde à se lancer dans la bataille présidentielle, même si beaucoup sont en embuscade. Déroutés par l'attitude énigmatique de Bouteflika, de potentiels prétendants n'y voient pas clair. Certains commentateurs de la scène politique estiment que «seul son état de santé empêcherait Bouteflika d'aller jusqu'au bout». Cependant, «l'homme du consensus» de 1999 est-il encore en mesure de diriger le pays ? Assume-t-il pleinement sa fonction de Président en ce moment ? Politiquement, Bouteflika n'est plus la première personnalité publique du pays. Il est de moins au moins présent sur le plan politique. Absent aux sommets internationaux, plus de déplacement ni à l'étranger ni à l'intérieur du pays, son action est réduite aux cérémonies protocolaires. Depuis sa réélection en 2009, le pays est plongé dans une inertie asphyxiante. Privé des hommes ayant constitué son premier cercle, «décimés» par une surprenante série noire de scandales de corruption, pendant que ses soutiens politiques, le FLN et le RND, s'enferrent dans des crises chroniques, Bouteflika vit-il une situation de fin de règne ? Rien n'est moins sûr. Car le pouvoir, qui se permet le vague que l'on sait sur un sujet aussi important pour le pays que la révision de la Constitution, doit bien couver des scénarios qu'il ne peut assumer de dévoiler. Pour l'instant.