La FAO a rendu public hier à Tlemcen son rapport sur l'état des forêts méditerranéennes. En Algérie, la situation est alarmante, car plusieurs dangers les menacent. -Les feux : 52 000 hectares brûlés en 2012 Pendant la décennie noire, les autorités algériennes ont abandonné la gestion des forêts. «Par mesure de sécurité, les forestiers se sont retirés en laissant à l'abandon les parcs nationaux, rappelle Reinhard Alexander Kastl, conseiller technique principal du projet régional Silva Mediterranea à GTZ (coopération internationale). Certaines zones sont restées sans plan d'aménagement.» Mohamed Harroun, expert forestier, insiste sur «l'inaccessibilité sur les lieux d'incendies et l'absence d'une bonne gestion». Contrairement aux idées reçues, il ne faut pas «laisser la nature faire les choses. Et si plans il y a, ils ne sont pas actualisés et n'ont pas intégré les nouveaux aspects et critères de la prévention contre les feux de forêt», éclaire Reinhard Alexander Kastl. L'expert estime nécessaire une meilleure collaboration des forestiers avec les autres intervenants : la Protection civile bien sûr, mais pas seulement. Contrairement aux Marocains où l'armée aérienne intervient, l'Algérie est appelée, toujours, selon lui, à revoir sa stratégie. L'Algérie n'a pas encore appris à identifier les causes de ses feux pour mieux gérer la situation, atteste Valentina Garavaglia, experte à la FAO. -Le réchauffement climatique : 2C de hausse de température L'Algérie verra sa température augmenter de 2°C, selon le rapport de la FAO et d'ici 2100, le mercure affichera une hausse de 2°C à 4°C accompagnée d'une baisse des précipitations jusqu'à moins 40%. Les périodes de sécheresse seront plus longues et régulières et des orages catastrophiques causant des érosions sont également prévus. «Le réchauffement climatique provoquera des variations dans le cycle vital des insectes et favorisera l'apparition de nouvelles maladies», prévoit Valentina Garavaglia. Mohamed Harroun estime par ailleurs que la nature de nos arbres ne supporterait pas ce changement. -Les maladies et les insectes : 217 000 hectares ont été dévastés par les insectes en 2010 Alors que les experts expliquent la forte présence des insectes et des maladies par le réchauffement climatique, Nadia Brargue Bouragba, maître de recherche en écologie et entomologiste à l'Institut national de recherche forestière de Djelfa, évoque «les graves erreurs du Barrage vert», planté dans les années 1970 pour lutter contre la désertification : d'abord, la particularité des sols de chaque région où ont été plantés les arbres n'a pas été étudiée. Autre erreur : le choix de la monoculture (pin d'Alep). A Djelfa par exemple, la plantation de cet arbre est fortement déconseillée en raison de la présence des dalles de calcaire dans le sol qui empêche le pin d'Alep de se développer et entraîne l'apparition d'insectes défoliateurs (chenilles processionnaires ou tordeuses des pousses du pin) et xylophages extrêmement ravageurs, car ils se développent d'une manière incontrôlable dans le reboisement. -La politique timide de reboisement : 404 000 hectares d'arbres plantés en 2010 «L'Algérie est condamnée à adopter une stratégie de reboisement plus large», affirme Mohamed Harroun. S'il n'y a pas assez de végétation pour protéger le sol, nous risquons une forte érosion et la perte complète des terres. Nous avons besoin d'étendre nos forêts. Notre patrimoine forestier est insuffisant. Des perspectives doivent être tracées pour mieux préserver l'équilibre écologique.» La FAO estime par ailleurs que les 404 000 ha plantés en 2010 sont insignifiants. La surface forestière en Algérie représente 1% de la surface totale du pays. -Le manque de main-d'œuvre qualifiée : 2 écoles de formation seulement à Médéa et Batna Mohend Messoudi, directeur à la recherche à l'institut de la recherche forestière de Tizi Ouzou, relève le manque flagrant d'agents spécialisés, notamment les démascleurs (ceux qui dépouillent les chênes-liège) ou les débardeurs-rouliers. Une soixantaine d'entrepreneurs de la filière liège menacent de déposer le bilan si des mesures exceptionnelles ne sont pas prises dans l'immédiat. Des promesses leur ont été données par le ministre de l'Agriculture. Pour sa part, le ministère de la Formation professionnelle attend encore le feu vert de la direction générale des forêts pour recenser les formations qualifiantes, selon Abbad, sous-directeur des établissements privés. La possibilité d'élargir le système Effis (European Forest Fire Information System), qui apporte un appui aux services des chargés de la Protection des forêts contre les incendies dans les pays de l'Union européenne et fournit des informations actualisée sur les feux de forêt, en Europe, au service de la Commission et le Parlement européens à la rive sud-méditerranéenne est en cours. Des formations sont déjà lancées, selon Reinhard Alexander Kastl. -L'absence de culture verte : 1 centre d'études environnementales au profil des enfants à Guebès en cours de réalisation Les experts sont unanimes pour dénoncer l'incivisme. «La culture verte est quasiment inexistante en Algérie», regrettent-ils en reconnaissant que les autorités ont bien conscience de la nécessité d'intégrer le grand public dans leur stratégie, notamment à travers les médias lourds. Mais jusque-là, rares sont les démarches entreprises pour sensibiliser sur les forêts. Les experts qualifient l'absence d'un programme spécial dans les programmes scolaires comme un «drame». Mohend Messoudi raconte avec détresse les efforts qu'il fournit régulièrement pour accéder aux lycées et dispenser des cours sur l'arbre. Mohamed Haroun relève également le manque de sévérité envers les délits commis.