Dans la logique du législateur, la partialité est évidente puisque, pour lui, le secteur public exerce «en toute indépendance» alors que le secteur privé peut provoquer des déviations. Le secteur privé n'a pas le droit de créer des chaînes de télévision ou de radio généralistes mais thématiques. La volonté de libérer réellement les ondes en Algérie est peu apparente dans l'avant-projet sur l'audiovisuel que le gouvernement s'apprête à étudier avec beaucoup de retard. Le texte autorise le privé algérien à investir dans le secteur de la radio et de la télévision. Pas plus. Même si dans «l'exposé des motifs», il est relevé que la future loi va apporter «une nouvelle liberté d'expression proclamée par la loi de 1990 relative à l'information et mise en œuvre à travers la création de plusieurs titres privés de la presse écrite». La loi de 1990 ouvrait déjà la voie à l'ouverture du champ audiovisuel, mais le gouvernement l'a complètement mise de côté. Résultat : une perte de temps de 23 ans ! Les rédacteurs de l'avant-projet rappellent que le droit à la communication est «un segment essentiel» des droits de l'homme. «Il importe très justement d'élargir la liberté de la presse à celle de la communication audiovisuelle», est-il proclamé. Le texte est supposé «encadrer» cette «liberté». On souligne dès le début les contraintes techniques liées aux fréquences hertziennes et au câble. Et on relève que ces fréquences, qui sont attribuées aux Etats dans le cadre de la Convention de l'Union internationale des télécommunications (UIT), sont une ressource rare. «Dès lors, leur affectation par l'Agence nationale des fréquences aux différents secteurs utilisateurs nationaux ne permet pas objectivement de satisfaire, en ce qui concerne le secteur audiovisuel, toutes les demandes qui peuvent s'exprimer en vue de la création de services de communications audiovisuelles», est-il noté. Et d'ajouter : « C'est donc l'Etat qui, inéluctablement, juge de l'opportunité de la création de ces services par voie terrestre, en déterminant, à travers un appel à candidature, le nombre de fréquences radio électriques disponibles et la nature de service à créer.» Une manière comme une autre de limiter le terrain et de neutraliser les projets qui gênent au nom de… la rareté des fréquences. Or, la diffusion par satellite ou par internet n'exige aucune limitation de fréquences. La bande FM (Fréquence modulée) en Algérie est presque vide. Divisée en régions ou sous-régions, cette bande peut porter des centaines de chaînes radio. La FM algérienne est occupée actuellement par la radio d'Etat au niveau national ou local et par celle des pays voisins au niveau des régions frontalières ou côtières. Les rédacteurs de l'avant-projet soulignent l'évolution des technologies de communication et, naturellement, préviennent contre les risques «d'une liberté non contrôlée» sur… «les conduites et les comportements». Le mot se détache d'une manière mécanique : contrôle. C'est bien là le principal objectif de cette loi. La voie est tracée : «Nécessité d'encadrer l'initiative privée dans le secteur de l'audiovisuel par les règles prudentielles relatives tout à la fois aux conditions de création de nouveaux services de communication audiovisuels, à leur mode de financement ainsi qu'au contenu de leurs programmes.» Censure préventive Autrement dit, l'Etat, au nom de cette nouvelle paranoïa, se donne le droit de se prononcer sur le contenu d'une chaîne de télévision. En termes plus simples, l'Etat sera forcé de créer des structures de censure pour stopper, par exemple, la diffusion d'un reportage sur la corruption ou d'une émission critiquant l'armée ou le président de la République. L'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV) deviendra de facto une nouvelle administration politico-morale pour prévenir «les déviations toujours possibles». Implicitement, les rédacteurs de l'avant-projet suggèrent que le secteur, dit public, n'a pas besoin d'être «régulé» puisqu'il répond déjà aux normes de «bonne conduite». Mieux : «Le secteur public de la communication audiovisuelle doit bénéficier de tout le soutien de l'Etat, afin d'assurer, en toute indépendance et en toute responsabilité, un service public en harmonie avec les légitimes attentes du corps social.» Dans la logique du législateur, la partialité est évidente puisque, pour lui, le secteur public exerce «en toute indépendance», alors que le secteur privé peut provoquer des déviations. L'esprit stalinien du texte ne s'arrête pas là : l'activité de communication audiovisuelle du secteur privé est qualifiée «d'autorisée». Ce n'est donc qu'une exception, pas une évolution naturelle – et inévitable – des choses, que l'Etat tout puissant accorde. Et pour faire salle comble, l'activité audiovisuelle sera exercée, selon l'article 3, par les services de communication audiovisuelle du secteur public, les services créés par les institutions publiques, les collectivités locales, les organismes et les services publics. Selon cette logique d'encombrement, toutes les wilayas, daïras, APC, APW, régies de transport public ou autres peuvent créer des télévisions ou des radios. Comment alors soutenir, d'une part, que «les fréquences hertziennes» sont rares et, de l'autre, autoriser les APC à avoir des radios et des télés ? Et pourquoi une mairie doit-elle créer une radio à elle et avec quel argent ? A quoi sert donc la radio publique présente dans toutes les wilayas à travers des stations locales qui sont souvent l'expression unique des walis et des chefs de daïra ? Et bien sûr, le secteur privé n'a pas le droit de créer des chaînes de télévision ou de radio généralistes mais thématiques. Cet interdit n'a aucune justification, sauf une : quadriller la liberté d'expression des Algériens. Des radios pour les apc ? Cela semble répondre à une volonté manifeste de fermer le jeu dès le départ et de privilégier le secteur étatique qui, lui, a tous les droits, y compris de disposer de chaînes généralistes et thématiques. Dans l'article 11, le secteur étatique est même «prioritaire» du droit d'usage des fréquences au nom de la nécessité de… «l'accomplissement des missions de service public spécifiées par les cahiers des charges». L'Etat se fabrique donc des «motifs» de refus à exhiber en cas de besoin. Dans l'article 22, il est stipulé que l'Autorité de régulation tiendra compte «en priorité» de l'expérience des initiateurs privés de projets de télévision et de radio dans les activités audiovisuelles. Comment ces candidats peuvent-ils avoir de l'expérience alors que le champ audiovisuel algérien est fermé depuis l'indépendance du pays sauf à vouloir «vider» l'ENTV et la radio d'Etat de leur personnel ? Les articles 46 et 47 indiquent que le cahier des charges est valable tant pour le secteur public que pour le secteur privé. Les chaînes privées doivent-elles être copie conforme de l'ex-RTA ? Parmi les conditions imposées aux futures télévisions et radios, il y a ceci : «Ne pas instrumentaliser la religion à des fins partisanes et contraires aux valeurs de tolérance.» Notez qu'on souligne «fins partisanes» et pas «fins politiques». C'est-à-dire qu'un imam, salarié du ministère des Affaires religieuses, pourra toujours appeler à aller voter massivement pour tel ou tel candidat ou dénoncer «un complot étranger» contre le gouvernement. Plus bas, et dans la même disposition, l'incitation à la haine est totalement ignorée. On s'est contenté d'interdire l'apologie de la violence et du racisme. Autant donc dire que cette copie de la future loi sur l'audiovisuel doit être complètement revue et corrigée par les professionnels dans le sens de l'ouverture, de la liberté et de la démocratie.