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Ouverture du paysage audiovisuel national : des défis avant la loi ?
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Publié dans El Watan le 30 - 05 - 2012

Le quotidien El Watan a eu raison de s'interroger dans son édition du mercredi 23 avril 2012 sur l'apparition soudaine dans le champ satellitaire de chaînes de télévision algériennes privées, domiciliées à l'étranger, «adossées» majoritairement à des entreprises de presse écrite privées nationales dont elles portent jusqu'aux noms, ou à des partis politiques, nouveaux par le sigle, mais anciens par le contenu, et dont la couleur verte ne suggère pas forcément, comme ailleurs dans le monde, une appartenance militante à un mouvement écologique.
S'il est vrai que c'est bien le verrouillage du paysage audiovisuel national en attente des changements structurels annoncés par le premier magistrat du pays, qui nourrit les initiatives et les combinaisons les plus inattendues qui donnent à voir, dans le cas d'espèce, une chaîne privée algérienne diffuser de l'étranger, disposer de bureaux et de studios à Alger, animés par un personnel algérien, mais «étranger» au regard de la loi, donc astreint de ce fait à une accréditation, on peut se poser toutefois la question de savoir ce qui fait courir ces «chevaliers du ciel» et en même temps sur ce qui pourrait expliquer la «tolérance» ou l'indécision des pouvoirs institutionnels devant cette «anomalie», pour les uns, «une solution» faute de mieux, pour les autres.
Il faut dire d'abord que l'empressement à créer aujourd'hui des chaînes de télévision privées à contenu algérien, mais de droit étranger, s'il témoigne chez les promoteurs de celles-ci d'une «capacité propre» insoupçonnée à dépasser l'immobilisme qui prévaut sur le plan national depuis une cinquantaine d'années, n'est nullement innocent en termes de timing et contient, selon les spécialistes des médias et des analystes politiques, plusieurs lectures.
S'agit-il pour les promoteurs-éditorialistes de ces chaînes privées algériennes tombées du ciel de faire dans le discours critique que la télévision publique algérienne ne peut pas faire au-delà d'un certain seuil avec autant de liberté de ton, pour donner «indirectement» de la crédibilité au débat populaire et politique à l'occasion des rendez vous électoraux actuels et à venir ?
S'agit-il pour ces chaînes privées algériennes de droit étranger, faut-il le rappeler sans faire dans la stigmatisation, de se positionner en prévision de l'ouverture annoncée du paysage audiovisuel national, de «s'implanter» d'ores et déjà dans l'opinion publique, de s'attacher des ressources techniques et artistiques nationales rares avant l'apparition de chaînes rivales, de se construire une audience en vue d'un marché publicitaire sans les parts duquel elles auraient peu de chances de durer ?
Ces chaînes anticipent-elles sur la nature des «contraintes» que pourrait imposer la future loi de l'audiovisuel en termes de cahier des charges et de mode de diffusion ?
Quelles que soient les raisons des uns et des autres, force est de considérer que ce que le quotidien El Watan a appelé «la télévision de l'informel» jette un discrédit sur la volonté annoncée des pouvoirs publics de préparer dans le domaine audiovisuel les réformes décidées par le président de la République. Se pose alors la question de la place de ces chaînes privées algériennes de droit étranger dans le futur paysage audiovisuel national.
De par leur statut actuel, ces chaînes se sentiraient-elles concernées par les dispositions de la loi sur l'audiovisuel ? Devront-elles s'y conformer obligatoirement ? Dans le cas contraire, quelles seraient les sanctions encourues au regard de la loi ? Si ces chaînes privées ont exploité un vide juridique pour s'installer au-dessus de nos têtes, pourraient-elles continuer à élaborer leurs programmes sous le régime de l'accréditation qui les place dans la catégorie des chaînes étrangères au sens propre du mot dès lors qu'une loi est votée ?
Ces interrogations posées, livrons quelques éléments de réflexion au débat, car l'ouverture du paysage audiovisuel qui représente aux yeux de nombre d'observateurs intègres le cœur de toutes les réformes, devrait participer, c'est notre conviction au risque de nous répéter, à la construction d'une société démocratique plurielle, autour de valeurs partagées, pour une Algérie unie, puissante, ouverte sur le progrès, sans complexe ni faiblesse, dans la fidélité vivante à ses ancrages identitaires.
L'ouverture du paysage audiovisuel, qui signifie aussi la refondation du secteur public vers plus de performances, donnera progressivement, sans doute, à la gouvernance toute sa maturité et sa transparence, à la société l'un de ses leviers les plus actifs pour son développement et son épanouissement, à l'Etat de droit toute sa crédibilité, à l'image extérieure de l'Algérie tout son rayonnement loin des clichés et des certitudes immuables.
C'est donc à la loi d'encadrer par des dispositifs qui puisent dans la pratique de l'activité audiovisuelle en termes de normes et de critères, dans les dispositions fondamentales de la Constitution algérienne et dans des lois de référence (concurrence, travail, publicité, sondage, etc.) le nouveau paysage audiovisuel, dont la régularisation qui relèvera d'une autorité indépendante en sera à la fois l'observatoire et le cœur du système dotée de pouvoirs en amont et en aval et s'exerçant en direction de l'ensemble de ses partenaires, sans distinction de statut, public ou privé. Avançons dans le débat et ayons le courage intellectuel de tout mettre sur la table.
En réduisant le champ de la loi sur l'ouverture, audiovisuelle exclusivement à la création de chaînes thématiques comme le stipule la loi organique relative à l'information (voir chapitre concernant l'activité audiovisuelle), l'Etat n'en diminue-t-il pas d'emblée la portée ?
C'est le cahier des charges de chaque chaîne qui déterminera de quelle chaîne il s'agit, et ce sont les mécanismes de soutien direct ou indirect préalablement annoncés et que l'Etat mettra en place qui encourageront les porteurs de projets à privilégier la création de chaînes à fort contenu éducatif et culturel, si telle est la volonté des pouvoirs publics.
L'Etat peut bien sûr donner la priorité, dans l'attribution des licences aux chaînes thématiques, considérant a priori que celles-ci sont porteuses plus que d'autres de valeurs de service public, mais de là à exclure d'emblée du champ audiovisuel toute chaîne qui ne répond pas à ce label, c'est prendre le risque d'une confrontation inutile avec la liberté d'expression, quand bien même il appartient aux pouvoirs publics de lancer les appels à projets pour la création de nouvelles chaînes.
On le voit bien, le concept de chaîne thématique et la notion de service public doivent faire l'objet d'une réflexion appuyée en rapport avec les besoins, les évolutions attendues et les valeurs de la société algérienne afin de faire l'économie d'interprétations contradictoires, une fois la loi votée.
Par ailleurs, au motif que la loi organique relative à l'information dispose dès ses premiers articles des principes fondamentaux dans le respect desquels s'exerce l'activité de l'information, la loi spécifique à l'activité audiovisuelle devrait-elle se suffire de ces rappels ou, compte tenu des enjeux propres à l'audiovisuel, déclarer irrecevables dans des dispositions particulières ou dans son préambule, tout projet de chaîne à caractère religieux, la religion étant «l'affaire de l'Etat», tout projet de chaîne à caractère partisan, l'Algérie n'étant pas en campagne électorale permanente et l'activité des partis étant réglementée par la loi, tout projet de chaîne à caractère strictement régional sauf dans le cas de projet de chaîne à capitaux mixtes Etat/privé, tout projet de chaîne dont les porteurs ne peuvent justifier de la traçabilité de leurs capitaux, tout projet de chaîne dont l'un des porteurs aurait fait l'objet d'une condamnation infamante non seulement dans sa conduite en rapport avec la période de la lutte de Libération nationale, mais aussi dans son appartenance active ou à son allégeance avérées à des idéologies qui prônent la violence comme moyen d'accession au pouvoir ?
La future loi sur l'audiovisuel devra-t-elle autoriser la création de chaînes émettant en continu des programmes en langue nationale tamazight dans toutes ses expressions, ou en langue étrangère, française notamment, ou considérer que ce type de chaînes devrait rester exclusivement du domaine du secteur public ou de chaînes à capitaux mixtes Etat/privé, étant entendu que l'ensemble des chaînes seraient tenues de promouvoir dans leurs programmes les cultures populaires et les langues nationales ; la place des langues étrangères devant faire l'objet de dispositions dans les cahiers des charges présentés à l'autorité indépendante de régulation et agréés par celle-ci ?
Les chaînes en continu dédiées au savoir et à l'histoire contemporaine de la nation algérienne, compte tenu de la spécificité de leurs contenus, relèveraient-elles du secteur public exclusivement ?
Quelle serait en définitive la part de la production nationale dans la grille des programmes des futures chaînes ? Quels critères pour l'acquisition et la diffusion de programmes étrangers ?
Pour promouvoir la production nationale, la défiscalisation partielle et transitoire du produit audiovisuel et cinématographique dans le cadre d'un plan de relance de l'activité qui, ne l'oublions pas, revêt un caractère économique, la création d'un «fonds de soutien à la production audiovisuelle» et la mise en place d'une «école de formation aux métiers de la télévision», annoncée il y a quelques mois par le ministre de la Communication, peuvent-elles accompagner à brefs délais en tant que premières mesures décisives la mise en œuvre de la loi ?
Quelle place pour la publicité nationale et étrangère dans les programmes des nouvelles chaînes ?
La loi sur la publicité et la loi sur le sondage afin d'éviter dans ce cas précis que des chaînes publiques ou privées ne s'autoproclament premières au hit-parade grâce à des mesures d'audience commandées, sont-elles des instruments préalables à la mise en œuvre de la loi sur l'audiovisuel ?Dans l'élaboration du projet de loi sur l'audiovisuel, de ses outils comme les cahiers des charges-types des futures chaînes ; la mission, les objectifs, l'organisation, le mode de nomination de l'autorité indépendante de régularisation, quelles sont les expériences dans le monde les plus proches du cas algérien en termes d'immensité du territoire, de valeurs, de niveau de développement, de langues et de cultures populaires, de protection et de promotion du patrimoine culturel national matériel et immatériel, de rapport à l'identité, à l'unité et à l'indépendance ?
Quelles mesures pour prémunir le futur paysage audiovisuel national de toute tendance à caractère monopolistique ?
L'agrément d'une chaîne présuppose-t-il l'acceptation préalable par le porteur du projet de la fréquence qui lui est allouée, la liberté du choix du satellite est-elle recevable ?
Quelle réglementation pour la convergence numérique et quelle place pour le cinéma dans les programmes de la télévision ?
Pour ne citer que ces cas, autrement formulée, la question est de savoir si un candidat à l'ouverture de chaînes privées peut présenter deux projets à la fois, si les groupes de presse écrite publics et privés peuvent être autorisés à adosser avec les mêmes dénominations commerciales, les chaînes de télévision dont ils seraient les promoteurs à leurs publications régulières ?
Comme on le voit, si la loi doit répondre autant que possible avec précision à nombre d'interrogations, elle sera forcément évolutive en rapport avec les mutations sociales, à l'exemple des lois d'autres pays y compris ceux qui comptent une vieille tradition dans l'audiovisuel et le cinéma.
C'est parce que nous n'avons pas le monopole de la réflexion autour de ces questions centrales, les compétences du secteur de la communication qui disposent d'une expérience et d'une expertise se sont certainement posées toutes ces interrogations et bien d'autres dans la perspective de voir la future loi sur l'ouverture de l'audiovisuel se nourrir dans son élaboration des spécificités algériennes et des modèles performants dans le monde. Il nous appartient en définitive de relever le défi de l'ouverture même tardive du paysage audiovisuel national dans la perspective de résorber un grand retard, de contribuer à construire une opinion publique dans le débat contradictoire productif d'où la rumeur et la désinformation seraient progressivement expulsées, pour hisser notre pays au rang d'un pays moderne, en accord avec les aspirations de sa propre société, à ses besoins, à ses attentes, à ses exigences, un pays ouvert sur le monde avec une image façonnée de ses propres mains, un pays doté d'une arme de dissuasion massive contre les excès internes et les menaces externes qui a pour nom la démocratie, au développement de laquelle l'audiovisuel apportera sans nul doute, dans sa diversité, toutes ses ressources et, j'espère bien, son talent. Le débat est toujours
d'actualité.


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