Le public de Sidi Bel Abbès a réservé un accueil particulier à la pièce Matabaka min al wakt , un véritable réquisitoire contre la guerre. Sidi Bel Abbès De notre envoyé spécial Souffle de jeunesse, samedi soir, sur le théâtre régional de Sidi Bel Abbès, au quatrième soir du 7e Festival culturel du théâtre professionnel. La Coopérative culturelle Kateb Yacine de Sidi Bel Abbès et l'association El Besma de Hamam Bouhadjar ont fédéré leurs efforts pour monter Matabaqa min el weqt (Le temps restant), une pièce mise en scène par le jeune Abdelilah Merbouh, assisté de Lesfar Bekhaled et de Bouhdjar Boutchiche. La pièce est adaptée d'un texte du dramaturge et romancier irakien, Zidane Hamoud. «Nous avons demandé à Zidane de nous vendre son texte. Il nous a dit que les Algériens, comme les Irakiens, portent des moustaches. Pour cela, il a décidé de nous offrir gratuitement son texte», a confié le jeune Bouhdjar Boutchiche de l'association El Besma, qui a remanié le texte. La tradition dramaturgique irakienne de ces dernières années, tend vers le théâtre de l'absurde, de la dénonciation, voire de la philosophie. Réécrite et adaptée à un univers plus vaste que la Mésopotamie, la pièce Matabaka mina al waqt, jouée sur scène, est apparue plus contemporaine et plus fraîche. «Nous voulions sortir de l'absurde noir, aller vers d'autres choses, d'où l'adaptation du texte. Le metteur en scène nous a convaincus de jouer le texte avec une certaine vision», a expliqué Bouhdjar Boutchiche. L'histoire est d'apparence simple et pas forcément nouvelle pour les planches. Des hommes ayant perdu la raison se retrouvent cloîtrés dans un asile psychiatrique. Ils dialoguent entre eux, crient, sautent, se contorsionnent, tournent autour d'eux, roulent par terre, rient... Ils sont en pleine libération des sens. Il y a de la désarticulation, de la stimulation sexuelle, des danses... Hip-hop, boogie woogie, classique... Les fous sont gais. Ils craignent deux choses : les médicaments et les chocs électriques. A part cela, ils sont assez «sages» pour parler de «choses» sérieuses du monde actuel : «Marre de la guerre ! Marre de la violence !», «Tous nos problèmes sont dans nos têtes», «Nous ne savons plus parler de nos joies, tristesses et espoirs qu'en tirant des balles !», «La guerre est un mot qui sied à notre époque»... Et ils continuent à parler. A quoi bon se taire quand on est... fou ? «De quel rêve parles-tu ?», dit l'un d'eux. «De l'enfance par exemple, ne te rappelles-tu de rien ?», s'interroge l'autre. Et l'autre encore : «Pourquoi ils ne nous laissent pas à nos rêves ?». Dans la salle, en bas, on se dit peut-être la même chose : «Oui, pourquoi ?» Et plus loin, la sentence tombe : «Nous ne connaissons que le langage de l'éloignement et du blocage». De temps à autre, le plus éveillé des pensionnaires, celui qui craignait la perte de son pantalon, se moque de tous : «Play/pause/play.» Comme on le fait avec une «remote control». Pique lancée aux médias ? Probablement. Toujours est-il que cette idée du play/pause a été exploitée aussi par Faouzi Benbrahim du Théâtre régional de Batna dans la pièce Moustanquaa el dhiab (La mare aux loups). Idem pour l'idée de l'asile psychiatrique dans la pièce Iftiradhou ma waqaa filan (Hypothèse de ce qui est réellement arrivé) de Lotfi Bensbaâ du Théâtre régional d'Oum El Bouaghi. Mais, le traitement scénique est quelque peu différent. «Cette création est le résultat d'un cumul d'expériences. Ce n'est pas du copier/ coller ou une imitation», a précisé Bouhdjar Boutchiche. C'est la première expérience pour Abdelilah Merbouh, comédien au théâtre régional de Sidi Bel Abbès, en tant que metteur en scène. La touche jeune est là, marquante. La scénographie, basée sur l'idée de l'étirement, souligne la tension qui règne dans un asile psychiatrique, un espace fermé. La musique, la chorégraphie, la lumière, les tableaux évolutifs et la fausse improvisation sont convoqués pour donner une teneur à la pièce. Autrement dit, en faire un spectacle, un vrai, une «forja» ! Ce même spectacle qui manque tant au théâtre algérien. Les comédiens, Mohamed Moussa, Ahmed Hassani, Bouhdjar Boutchiche, Bilal Yakoub, Mohamed Zouagh (première montée sur scène) et Mohamed Ben Abdallah se sont bien adaptés au jeu très physique de la pièce. Le public semble avoir apprécié. «Laissons-nous vivre, vive la liberté, la guerre ne mène qu'à la destruction, à la mort, à la folie !», a lancé Bouhdjar Boutchiche. Il a rappelé que «le jumelage» entre la coopérative Kateb Yacine et l'association El Besma existe depuis 2010. «Nous faisons donc de la coproduction. Nous souhaitons que cette expérience s'étende dans tout le pays. Nous avons réussi grâce à l'amitié qui nous lie», a-t-il souhaité.