Qu'ils soient riches ou pauvres, les Algériens ne peuvent se passer du couscous. Dégusté savoureusement en famille le vendredi ou pendant les autres jours, ce plat se trouve être incontournable dans les ménages que ce soit dans la capitale ou dans les autres wilayas du pays. Il est l'expression même de notre identité culturelle. Il reste une constante dans le modèle de consommation algérien. Ce mets bien de chez nous a fini par appartenir à l'art culinaire international, mondialisation oblige. Mais cette globalisation a eu aussi l'effet inverse. Ainsi, si le monde a fini par s'approprier certaines de nos habitudes alimentaires, la société algérienne s'est, de son côté, imprégnée de nouvelles pratiques de consommation qui ne se réduisent pas uniquement à la cuisine. Une tendance que confirme M. Youcef Bazizi, directeur des statistiques sociales et des revenus au sein de l'Office national des statistiques (ONS), qui avait réalisé une enquête sur les dépenses de consommation des ménages entre mars 2000 et avril 2001. « On est à l'ère de la mondialisation », s'exclame-t-il d'emblée. « On ne peut pas résister à l'influence des autres modèles de consommation surtout que sur le plan production et offre de produits, il y a de plus en plus de produits qui correspondent à des modèles de consommation occidentaux. » Il est vrai que le volume des importations des biens de consommation renseigne clairement sur l'offre sur le marché algérien dominée par des produits fabriqués ailleurs. Une offre de plus en plus diversifiée qui façonne le comportement des Algériens en matière de consommation. Rien que la facture alimentaire, elle frôle les 3 milliards de dollars. Depuis l'ouverture du marché, l'Algérie donne l'image d'un grand bazar. On est passé d'une situation où les pénuries étaient monnaie courante à une abondance dont les Algériens ne profitent pas tellement en raison de la faiblesse du pouvoir d'achat. M. Bazizi estime néanmoins « qu'en dehors des contraintes religieuses, les Algériens consomment tous les produits occidentaux ». Mutations Le modèle de consommation occidental reste la seule grande influence sur le modèle de consommation algérien, relève-t-il. Pour lui, ce modèle s'est imposé car « il présente un certain nombre de facilités ». Et de citer l'exemple de la restauration rapide. « Le modèle occidental s'est imposé car de plus en plus de gens ne peuvent pas rentrer à la maison pour manger donc ils se rabattent sur ça. Ils n'ont pas le choix. Il y a aussi des facteurs liés aux revenus et les considérations culturelles et religieuses qui influencent considérablement le modèle de consommation algérien. Il y a des produits qui ne seront jamais généralisés dans la consommation algérienne car considérés comme étant illicites par la religion. En revanche, la consommation de certains aliments tels que le couscous sera maintenue indépendamment du niveau de vie des ménages. » « Il y a des aspects qui demeureront pérennes », expliquera M. Bazizi qui prévoit des mutations de ce modèle de consommation « en fonction des richesses et du niveau de vie ». D'après lui, celui-ci, qui se retrouve un peu dans beaucoup de pays du sud de la Méditerranée, a beaucoup évolué depuis quatre décennies. « Dans notre pays durant les premières années de l'indépendance, la plus grande partie du budget des ménages était destinée à l'acquisition de produits alimentaires dont certains sont plus caractéristiques du modèle algérien que d'autres. Au fur et à mesure que le niveau de vie augmentait cette part diminuait », a-t-il souligné en se référant à un principe connu dans la théorie économique et qui est le principe d'Engel. Celui-ci stipule que plus une population est riche plus ses dépenses alimentaires sont basses. « Quand on subdivise la population algérienne en des catégories selon leur niveau de richesse, on trouve que les ménages les plus pauvres ont une part de l'alimentaire qui avoisine les 70%. En revanche, les ménages les plus riches ne consacrent que 30% de leurs dépenses aux produits alimentaires. Cela s'explique par le fait que plus un ménage est riche plus ses ressources augmentent donc, en plus de ses besoins nutritionnels, il développe d'autres besoins et il peut les satisfaire. Automatiquement la part de ce qui est alimentaire baisse », indique M. Bazizi. Pour ce qui est des ménages les pauvres, en dehors des dépenses incompressibles telles que le loyer, les charges, les vêtements pour les enfants, les fournitures scolaires et quelques dépenses de santé, ils ne dépensent pas grand-chose dans les produits non alimentaires, affirme encore cet expert. Reste que la proportion des dépenses alimentaires semble avoir amorcé une tendance baissière durant les années 1990 par rapport aux décennies précédentes, selon M. Bazizi. « On a constaté à travers les études qui sont faites par l'ONS qu'en 1988, l'enquête donnait un budget moyen au niveau national de 52% affecté à l'alimentaire alors que la dernière enquête en 2001, faisait ressortir un budget est de 47%. » M. Bazizi considère que la conclusion qui peut être tirée de cette réduction est qu'il y a eu amélioration du niveau de vie. Il n'exclut pas cependant une détérioration du niveau de vie de certaines populations en raison des augmentations très importantes des prix survenues suite à la libéralisation de l'économie ainsi que la suppression des subventions aux produits de première nécessité. Crédit à la consommation La réduction du budget consacré aux produits alimentaires pourrait aussi trouver des explications ailleurs. Les Algériens dépensent de plus en plus pour avoir des biens immobiliers, des véhicules ou des produits électroménagers. Pour ce faire, ils n'hésitent pas à avoir recours au crédit à la consommation. Ce genre d'investissements les pousse souvent à serrer la ceinture. C'est ainsi que le budget réservé habituellement aux produits alimentaires est revu à la baisse. Un phénomène qui prend de l'ampleur. Les crédits à la consommation représenteraient 40% des crédits accordés par les banques. L'apparition d'un tel procédé est « normal avec la société qui s'industrialise, il y a des besoins qui se créent », déclare à ce propos M. Bazizi. Pour lui, de telles pratiques sont le signe que « les populations commencent à avoir des réflexes de rationalité économique ». Il entend par là que les ménages sont plus prudents dans leurs dépenses depuis l'augmentation des prix. « Avant quand les prix étaient subventionnés, il y avait beaucoup de gaspillage car les produits n'étaient pas chers. » Ils ont fini aussi par avoir l'esprit d'anticipation. « Ils se disent, il vaut mieux acheter maintenant et s'endetter à prix fixe que de devoir thésauriser l'argent et avec la détérioration du pouvoir d'achat ou bien l'inflation, voire le prix du produit qu'on voudrait acheter augmenter » le rendant inaccessible, souligne encore ce responsable au sein de l'ONS pour qui il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de personnes n'arrivent pas à mettre assez d'argent de côté pour un achat comptant. Ils se rabattent de ce fait sur le crédit bancaire. Il signale également que ces crédits avec les taux d'intérêts actuels ne sont pas à la portée de tout le monde. « Les populations défavorisées ne peuvent pas se permettre de faire des crédits avec des taux d'intérêts à 8%. » Des taux qu'il juge du reste élevés en comparaison avec ce qui se fait à l'étranger. « En France il y a des crédits avec des taux à 3% qui sont à la portée d'un large public ce qui n'est pas le cas chez nous bien que la demande existe. Il y a des gens qui voudraient bien acheter un véhicule, un logement et qui sont solvables du moment qu'ils ont des postes permanents mais ne peuvent prétendre à des crédits bancaires en raison de l'importance de ces taux », dira-t-il à ce sujet. Il ne s'explique pas que les portes des institutions financières soient fermées au nez de personnes qui présentent toutes les garanties d'un emploi stable et permanent. D'autant plus, fera-t-il remarquer, que « c'est un créneau qui pourrait être porteur même pour les organismes financiers car la demande est croissante ». Dans ce contexte, il plaide pour la mise en place de mécanismes pour faciliter l'accès au crédit bancaire pour les particuliers solvables.