Une baguette de pain ordinaire et un sachet de lait pasteurisé. Deux ultimes minima sociaux que les pouvoirs publics estiment vital de préserver à tout prix pour entretenir ce qui reste de la paix sociale. Depuis la crise de la dette des années 1990, les cures d'ajustement structurel et les déréglementations des prix qui en ont suivis, seuls le lait et le pain continuent encore à résister à l'ornière des renchérissements qui touchent constamment tous les autres biens et services. Par la grâce d'un décret exécutif datant d'avril 1996, l'Algérien de base, bien que sempiternellement condamné à courir derrière de sporadiques rattrapages du pouvoir d'achat, peut légitimement se prévaloir de pouvoir accéder à une ordinaire baguette de pain, pour seulement sept dinars et cinquante centimes. Avec un tel prix, le plus bas de par le monde, les décideurs du pays, «dans leur grande sagesse», estiment avoir fait l'essentiel pour donner aux citoyens la garantie de pouvoir se sustenter tous les jours avec du pain pas du tout cher. Tous les jours, sauf probablement demain, car les artisans boulangers ont décidé de faire grève pour décrier «l'injuste et dérisoire» prix de la baguette. Demain, la baguette de pain sera toujours par cher, encore faut-il la trouver. Dans leurs discours respectifs, empreints de démagogie, le gouvernement tout comme les boulangers aiment afficher une innocence, toute indécente, quant à vouloir augmenter la baguette. Mais créer des pénuries de pain, cela ne semble guère les indisposer. Les boulangers ne contestent officiellement qu'un prix de revient de la baguette qu'ils disent supérieur à son prix de vente réglementé. Le gouvernement affiche, pour sa part, un semblant d'intransigeance sur la question du maintien du prix du pain à 7,50 DA. Prix qui, du reste, a cessé d'être respecté depuis, au moins, la soudaine disparition de la pièce de 50 centimes. L'incohérence des logiques prônées par les décideurs dans la conduite de l'action sociale et économique publique est telle qu'aujourd'hui, l'Etat est réduit à devoir tout subventionner pour amortir de récurrentes et spéculatives flambées des prix. Le décret d'avril 1996 fixe le prix de la baguette de pain ordinaire de 250 grammes à 7,50 DA. Celui de la farine panifiable à 2000 DA le quintal. Le prix du blé tendre, qui sert à fabriquer cette farine et ce pain, est en revanche libre et dépend des cours changeants du marché mondial. Les boulangers rappellent aussi que tout a augmenté. Et le gouvernement veut surtout faire croire à l'opinion qu'il est à même de continuer à administrer le prix du pain, même si les prix de tous les autres produits sont de plus en plus déréglementés. Conséquence de cette aberrante politique : la baquette de pain se vend déjà bien en deçà de son prix réglementé et la disponibilité de ce produit de base devient de plus en plus aléatoire.