Une chose est sûre, Catherine D. Andouard a quitté l'Algérie en 2006, pour aller s'installer à Paris, la mort dans l'âme. Après une traversée pleine d'embûches et de choses merveilleuses, elle décide d'aller sous d'autres cieux après avoir partagé, avec le petit peuple, toutes les joies les peines et les douleurs. Rares sont les hommes et les femmes, qui s'installent dans l'endurance et la confiance en l'avenir. Catherine a supporté les temps durs du terrorisme islamiste, la mort absurde et la peur inqualifiable avant de céder à la décision de partir, mais pour combien de temps ? L'Algérie, un choix est un palimpseste dans lequel on lit facilement l'Algérie des années 1990, mais aussi les fragments d'une histoire coloniale qu'on a tendance à oublier dans l'analyse de la violence ; un regard très fin qui glisse en filigrane, mais très lisible, dans les phrases ou les commencements des chapitres. L'exemple de l'assassinat d'un Abderrahman Taleb (guillotiné le 24 avril 1958) par Fernand Meissonnier, bourreau d'Alger, très attaché à sa guillotine même dans retraite, n'est que l'autre image d'une violence qui a un substrat et une histoire contemporaine ou même lointaine qui vient de la période turque qui a fait de l'autochtone algérien un sous-homme. Le livre de Catherine repose sur une vision sereine et humaine, évitant de tomber dans une polémique désuète de qui tue qui ou en renvoyant dos à dos Etat et terroristes criminels ayant choisi les armes comme moyen de revendication, en imposant à la population civile leur diktat fasciste ; démontrant du coup que l'Algérie n'a pas le monopole de la violence qui n'est inscrite ni dans ses gênes ni dans ses textes sacrés. La violence est de toutes les races, de tous les pays et de toutes les religions. Le choix de Catherine, qui est évoqué dès les premières phrases du livre, c'est d'abord de voir cette Algérie tant aimée dans son mouvement permanent vers un avenir difficile mais prometteur : j'ai voulu témoigner d'une vie nouvelle, affirme-t-elle avec assurance. L'Algérie, un choix est plus qu'un témoignage, un voyage initiatique d'une descendante d'un captif du XVIe siècle, débarqué un beau matin de Saint-Malo et pris en plein mer. C'est lui qui, inconsciemment, l'avait poussé depuis trente années vers cette Algérie qu'elle ne connaissait qu'à travers les images des immigrés. La destinée l'a poussée à devenir la femme de l'un d'eux avant une séparation douloureuse en terre algérienne. Sa vie active en Algérie commença en 1971 par la fonction d'enseignante en kinésithérapie à Hussein Dey à Alger. Après huit ans d'exercice, elle obtint une mutation au centre médico-pédagogique pour handicapés moteurs d'El Harrach, elle y passa onze années. Cette ancienne école religieuse, nationalisée en 1976, devint vite l'un des lieux de traitement chirurgical et de rééducation spécialisée en orthophonie infantile. Une deuxième mutation lui est accordée, pour des raisons familiales, au CHU de Tlemcen et à la clinique d'Ibn Tachefine. Le livre est un témoignage dont lequel le subjectif n'est qu'un support à la narration d'une terre et d'une histoire tumultueuse d'un pays face à un cycle de violence sans précédent. L'Algérie, un choix s'ouvre tout d'abord sur les élections des APC (remportées par le FIS par 54,26%) et des APW (remportées par le FIS par 57,44%). L'Algérie allait changer vite non seulement de main mais aussi de perspective. Après l'euphorie des premiers moments, un climat d'insécurité s'installe vite. La culture était la première victime à faire les frais d'une machine qui n'a jamais caché ses visées fascisantes. Les locaux culturels sont investis par des familles de sinistrés et beaucoup d'activités culturelles sont abolies. Comme tous les citoyens algériens sensibles, Catherine commence à sentir, et pour la première fois, ce sentiment d'étrangeté et d'angoisse bizarre, mais continue à croire que l'Algérie retrouvera une nouvelle santé top ou tard. Pourtant, le pays s'engouffrait chaque jour, vers une guerre civile qui devenait irréversible. La marche de 1992, pour la démocratie (FFS), ne mettra pas fin à la peur de la société civile. L'environnement change très vite en faveur du fascisme islamiste. Certains journaux changent de cap. Tahar Ouattar exalte sa haine contre Tahar Djaout en le traitant de tous les qualificatifs. D'ailleurs, l'Algérie ne tardera pas à enterrer ses intellectuels, Tahar Djaout, Laadi Flici, M. Boukhobza, Youcef Sebti ; tous victimes de la machine terroriste. Dans ce climat de violence, Catherine pris la décision d'évacuer vers Paris, le dernier de ses enfants vivant avec elle, Amine. Mais elle continue de résister à sa peur. Elle s'accroche, avec ceux qui croyaient en l'avenir, à une Algérie bien définie par feu Djamel Eddine Bencheikh : « Nous sommes Arabes et Berbères, Andalous et Turcs, Byzantins et Phéniciens ; nous avons été païens et chrétiens, nous sommes musulmans et athées, parlant l'arabe, le kabyle, le français, Algériens en somme, ouverts à nous-mêmes et aux autres ; nous revendiquons notre intégralité. » Après l'assassinat de deux religieuses chrétiennes qui tenaient une bibliothèque à La Casbah, Catherine sentit la menace très proche du seuil de sa maison. Les jours à venir ne feront que confirmer ses inquiétudes, elle qui est restée, malgré la peur et une atmosphère de suicide collectif, partagée entre le serment d'Hippocrate et les exigences de l'état de siège. Mais elle refuse de céder à la panique et continue d'exercer sa fonction à la clinique. Elle se met même à écrire afin d'exorciser sa peur et ses doutes. L'année 1995 pour Catherine, et pour le peuple qui l'a adoptée, n'était pas meilleure que les précédentes. Elle s'ouvre par l'explosion d'une voiture piégée de 130 kg de TNT, en plein boulevard Amirouche, un carnage salué fièrement par Anouar Haddam. La mort devient vite une donnée quotidienne : « Si j'avais à choisir ma mort, j'aimerais savoir garder assez de dignité pour la vivre, comme on raconte que cela se faisait, bien que d'une manière assez cruelle chez les Indiens peaux rouges, héros favoris de mes lectures adolescentes, ou chez les Japonais. On dit que les vieillards, sentant leur heure venue, prenaient le chemin de l'isolement volontaire, seuls ou conduits par un de leurs enfants. » (p 194) Des allers et des retours entre les deux rives de la Méditerranée donnaient une certaine respiration à Catherine, Cathy pour les intimes, qui finit toujours par fermer les yeux et retourner vers les siens à Alger. Une folie, disaient les plus proches, un simple partage dans les moments de besoin intense, ne cessait de répéter Cathy. L'Algérie, un choix est plus qu'un témoignage, un regard serein et amoureux sur une Algérie déchirée par des choix mal assumés et des calculs faussés dès le départ. Un hymne à la vie et un hommage à ceux, qui malgré les brouilles d'un fascisme aveugle, ne sont jamais tombés dans l'amalgame qui met sur le même piédestal, le criminel et la victime.