16 heures. On a rendez-vous avec Souad Massi, à la salle Ibn Khaldoun, pour la soumettre au jeu des questions-réponses. Sur la scène, les techniciens s'activent dans tous les sens pour régler la balance. La chanteuse arrive à l'heure, mais s'excuse et demande quelques minutes pour résoudre un détail... La voilà qui revient, un grand sourire aux lèvres, elle est disponible, mais elle n'a qu'une envie, jouer de sa guitare, elle lui manque. C'est qu'avec son bébé, elle ne peut pas en jouer à la maison ! On promet donc de s'éclipser aussitôt les réponses enregistrées, et on la suit dans les coulisses, là où les managers et régisseurs discutent de l'ordre des chansons. Eh oui, c'est que le concert est prévu dans quelques heures... Mais l'agitation n'est pas synonyme d'inquiétude. La bande de Souad Massi est cool. Mieux, ils attendent tous impatiemment d'être sur scène... Quelle est la raison qui vous a retenue éloignée de la scène algérienne pendant sept longues années ? En ce qui me concerne, rien ne m'a retenu, si ce n'est le fait que je n'ai reçu d'invitation que maintenant. C'est étonnant, mais c'est ainsi. Dans Mesk el Lil, vous évoquez beaucoup vos racines, comment vivez-vous cet éloignement ? J'ai beaucoup parlé d'éloignement, il y a beaucoup de nostalgie, parce que j'étais enceinte. Quand on est enceinte, il y a beaucoup d'émotions, on devient très fragile, on pense à beaucoup de choses, notamment aux relations mère-fille, à la famille... C'est pour ça que je parle beaucoup de mes proches et qu'il y a autant de mélancolie. Une petite fille, deux trophées et un album très apprécié, vous avez tout pour être heureuse... C'est surtout la naissance de ma fille qui m'a rendue aussi heureuse, mais je suis très heureuse aussi depuis qu'on fait des tournées et qu'on remplit des salles, ça me fait très plaisir. Justement, vous avez joué dans plusieurs pays, quel est votre public préféré ? Le public me touche beaucoup, mais je ne peux pas dire que c'est mieux en France, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Australie ou au Liban. C'est vrai, par exemple, qu'on est très demandé en Allemagne, ça me touche beaucoup, mais j'ai du respect pour tous mes publics. Certains pays me donnent plus d'émotion, comme le Soudan qui n'a pas les moyens. Les associations s'organisent pour nous inviter et c'est le genre de choses qui me touchent beaucoup. Le fait de vivre en France vous apporte-t-il beaucoup par rapport à votre carrière ? Oui, c'est clair. Je crois que si je n'étais pas partie en France, je me serais arrêtée de chanter en 1999, l'Algérie ce n'était plus possible. Là je viens de rencontrer des musiciens de l'ancien groupe dont je faisais partie, Atakor, ils galèrent, ils n'ont pas beaucoup de concerts... C'est très dur, on finit par se sentir incompris. En Europe, on est bien encadré, on a plus de moyens, on travaille avec des professionnels, on fait des échanges, on évolue. Ici, il y a peu de groupes qui viennent de l'étranger, il n'y a pas d'échanges, on ne peut pas évoluer et on n'est pas encouragé par le gouvernement. Tout ce qui concerne la musique et l'art, c'est très pauvre, malheureusement. J'aimerais bien qu'on accorde plus d'importance à la musique, à la culture en général. Il faut que les choses évoluent, qu'on invite des groupes étrangers, qu'on organise des masters class avec des jeunes, qu'il y ait des échanges d'expériences, on a besoin de ça... Sinon on ne connaîtra l'Algérie que par des éléments pas très intéressants... Et c'est ainsi dans tous les domaines. J'espère vraiment que les choses vont évoluer. Je sais que c'est très dur de s'en sortir après une guerre civile, la stabilité est déjà un premier pas, mais les gens doivent absolument se mobiliser. Votre groupe est un mélange d'origines, est-ce un choix ou un hasard ? Non, on s'est rencontrés par hasard. Mais c'est vrai qu'ils viennent de partout : le guitariste est hongrois, le batteur est sénégalais breton, le bassiste est camerounais, le régisseur est français, le deuxième manager est marocain, le comanager est français aussi, le réalisateur son pour la salle est perse et l'ingénieur son retour est martiniquais. C'est très enrichissant, on apprend beaucoup de choses sur l'histoire, les civilisations... On a été tellement fermé sur nous-mêmes qu'on est heureux de rencontrer des gens de partout, on se rend compte qu'on fait partie d'un monde, il y a des choses à partager. Vous savez, il y a pas mal de gens qui veulent venir voir l'Algérie. Là, des fans français voulaient venir assister à mon concert, mais ils n'ont pas eu de visas, ça me touche beaucoup. Parlez-nous de Mesk el Lil, comment est-il né ? Il a vraiment accompagné ma grossesse, mon enfant. J'avais des idées, mais j'avais du mal à les concrétiser. Un mois avant de rentrer dans le studio, j'avais les arrangements en tête. Et j'ai vraiment écrit proprement. Je suis ainsi, j'ai tout dans la tête et je n'ose rien sortir. Mais une fois que je me lance, c'est bon. Et comment appréhendez-vous votre prochain album ? Je l'imagine très bien. Ce sera un album live, avec des chansons des trois albums. Un peu comme ce sera ce soir et demain !