Au moment où certains parlent de la mort annoncée du livre, tel qu'on l'a connu jusque-là, au profit des tablettes numériques et autres procédés ou machines, des phénomènes éditoriaux viennent parfois tempérer ces prédictions terribles pour tous ceux qui tiennent le livre comme un véritable outil d'éducation, voire un tremplin de civilisation. L'un de ces exemples vient du Japon où, pourtant, les gadgets électroniques ne sont pas en reste. Les Japonais, en effet, lisent plus qu'on ne le pense généralement. L'Empire du Soleil levant est fort d'une tradition littéraire remarquable qui remonte à des pratiques très anciennes des belles lettres et, notamment, de la poésie, et qui s'est prolongée à l'époque moderne avec de grands écrivains, tels Mishima ou encore Yasunari Kawabata et Kenzaburo Oe, tous deux prix Nobel de littérature, respectivement en 1968 et 1994. Depuis, de nouveaux écrivains sont apparus dans les nouvelles générations et sont lus par des milliers sinon des millions de lecteurs. De nombreux prix littéraires prestigieux sont décernés chaque année avec des dotations financières importantes et des effets importants sur les ventes. C'est le cas du plus connu d'entre eux, le prix Akutagawa, qui présente la particularité d'être remis deux fois par an, en janvier et juillet, ses lauréats recevant une montre et un chèque d'un million de yens. Où peut-on voir un livre tiré à un demi-million d'exemplaires en premier tirage avec 350 000 exemplaires vendus en 3 jours ? Des librairies ouvertes 24 heures sur 24 pour en assurer la promotion et la vente ? D'autres commencer à travailler à partir de 7 heures du matin, trouvant devant leur portail, des files attendant depuis la nuit ? Des lecteurs et lectrices, incapables d'attendre plus longtemps, et qui, une fois le livre acheté, s'installent sur des bancs publics, ou même sur le trottoir, pour commencer sa lecture ? Tout cela a commencé à partir du 12 avril pour le lancement du dernier roman de Haruki Murakami, l'écrivain le plus lu dans l'Archipel et dans le monde. Un véritable phénomène littéraire, et même de société, qui compte dans son lectorat une grande partie de jeunes. Ses précédents romans ont connu des succès énormes : Chronique de l'oiseau à ressort, La Ballade de l'impossible, Kafka sur le rivage, etc. Tout comme le dernier de ses ouvrages, au titre énigmatique, 1Q84, la dernière fournée de Murakami s'intitule, selon une traduction mot à mot, L'incolore Tasaki Tsukuru et l'année de son pèlerinage. Un pavé de 400 pages pour lequel l'écrivain, nommé par son prénom au Japon, comme c'est la tradition pour les grands écrivains de ce pays, s'est excusé auprès des lecteurs, affirmant qu'il avait l'intention d'écrire une histoire courte mais que celle-ci l'avait dépassé ! Des excuses inutiles, car ses lecteurs sont habitués à ses romans fleuves et même en redemandent. Le précédent 1Q84 faisait environ… 1500 pages ! Cela ne l'avait pas empêché de faire exploser les ventes au Japon, d'être traduit en quarante langues et de s'écouler à des millions d'exemplaires à travers le monde. Qui disait que les Japonais étaient les champions de la miniaturisation ? Haruki Murakami, fils d'un enseignant de collège en littérature japonaise, est né en 1949 à Kyoto. Passionné d'abord de théâtre et de cinéma, il veut devenir scénariste. Son premier roman, Ecoute le chant du vent, en 1979, lui vaut le Prix Gunzo. Depuis, il n'a pas cessé d'avancer pour atteindre une stature mondiale. Son univers littéraire est celui du fantastique et du surréaliste qui surgit de la banalité quotidienne. Son exemple, de même que celui d'autres écrivains japonais, est un signe d'espoir pour la littérature et le livre.