L'état de santé du président de la République a, une fois de plus, mis en lumière la faillite de la communication officielle dans notre pays. Alors que les rumeurs les plus folles ont circulé sur sa maladie, qui a nécessité un transfert d'urgence dans un hôpital réputé en France, tous les responsables qui se sont relayés pour répondre à l'attente du public ont montré leur inaptitude à dire la vérité aux Algériens quand les circonstances l'exigent. Ni le Premier ministre, ni le ministre de la Communication, ni le président du Sénat, pour ne citer que ceux-là, qui ont saisi des opportunités diverses pour intervenir sur le sujet, n'ont en fait pas réussi à lever totalement les doutes qui ont entouré — et qui entourent encore — le bulletin de santé du premier magistrat. La preuve, après près d'un mois d'hospitalisation, bien malin sera celui qui pourra nous dire quelle est réellement la situation médicale de Bouteflika. Va-t-il mieux ? Son état s'est-il amélioré ? Sera-t-il bientôt de retour ? Aura-t-il les mêmes capacités pour gouverner ? A entendre les hauts dirigeants, qui ont longtemps cherché les mots et les phrases passe-partout pour rassurer, le président de la République n'a jamais atteint le seuil de gravité que lui ont prêté certains journaux. Cette profession de foi qui ne s'appuie sur aucune argumentation médicale ou scientifique nous est servie comme parole d'évangile à ne jamais remettre en cause. Lorsque Bensalah dit que le Président va bien, il ne laisse aucune autre alternative que celle de le croire au risque d'être classé parmi tous ces «brailleurs» qui disent n'importe quoi, juste pour semer la zizanie et dénigrer le Pouvoir. Les fauteurs de troubles qui sont à chaque fois visés par le discours officiel et même par certains leaders de parti qui se sont crus investis du devoir de défendre, avec un zèle rarement égalé, non pas le Président, mais le système qu'il incarne, ce sont évidemment les journalistes qui n'ont pas respecté les règles imposées en cherchant à en savoir plus sur l'état de santé de Bouteflika. Autant les responsables, face à une actualité aussi sensible qui nécessite une communication transparente et régulière, se sont révélés incapables de s'élever au niveau de l'événement comme s'ils avaient des choses à cacher, des choses à se reprocher, autant ils se sont montrés prompts à afficher leur agressivité contre tous ceux qui tentaient de faire le travail à leur place, en n'hésitant pas à brandir la menace de sévir lourdement par la voie de la justice. Si après plus de trois semaines le Président est toujours gardé sous observation médicale en France, c'est que son état est loin d'être banal, comme l'avait laissé sous-entendre son médecin personnel. C'est aussi et surtout pour le commun des Algériens la certitude que l'état de santé de leur Président est sérieux et doit donc être rendu public pour éviter les spéculations malveillantes. Mais comment, pour le journaliste soucieux de la vérité, même si elle n'est pas bonne à divulguer, informer honnêtement les Algériens quand les sources officielles restent dramatiquement muettes ? C'est cet exercice somme toute périlleux qui a valu au directeur des deux journaux Mon Journal (en français) et Jaridati (en arabe) de s'attirer les foudres des tenants du système au point d'être poursuivi en justice pour des accusations d'un autre temps, à savoir «atteinte à la sécurité de l'Etat, à l'unité nationale et à la stabilité et au bon fonctionnement des institutions». Cette réaction du parquet, qui a été actionnée pour la circonstance, démontre tout le décalage qui existe entre nos dirigeants qui continuent de raisonner comme au temps des années de plomb et la réalité d'aujourd'hui dans un pays qui aspire à plus de démocratie et non pas à plus de répression. Miloud Brahimi, en parfait homme de loi qui sait de quoi il retourne, a eu l'impression, face à cet épisode cynique, d'être encore à l'époque du parti unique. «Engager des poursuites judiciaires contre un journaliste pour atteinte à l'unité nationale s'il vous plaît, c'est inquiétant et lamentable», dit-il. Il trouve grotesque et ridicule la réponse des autorités à un problème de communication qui n'aurait jamais dû exister si ces dernières pensaient autrement et faisaient correctement leur job. Il n'est d'ailleurs pas seul à s'élever contre cette réaction politique du Pouvoir, qui veut réinstaurer la censure, alors qu'il se trouve dans l'impasse. Des partis et des personnalités politiques se sont également joints au tollé général pour dénoncer l'atteinte à la liberté d'expression sous-tendue par l'affaire Aboud. Pour le RCD, «dans cette chasse aux sorcières, il ne s'agit pas de défendre un homme mais un principe noble et une presse de plus en plus stigmatisée par les pouvoirs publics. Cet imprimatur est condamnable et renseigne sur un pouvoir déliquescent qui a peur de la transparence. Rien ne peut justifier cet acte liberticide». Il faut dire que ce Pouvoir, à travers les dirigeants qui le dirigent, a commis, pour se tirer d'affaire d'une situation politique fort complexe puisqu'elle engage l'avenir immédiat du pays, le grave impair de toucher à la liberté de la presse, l'un des rares acquis démocratiques auquel tient le peuple algérien. Il a ainsi fait de Aboud un sujet de diversion, alors que les vrais problèmes de l'Algérie— Bouteflika malade ou pas — sont ailleurs. Il suffit de lire et faire lire la récente contribution dans notre journal du général Mohand Tahar Yala sous le titre «Dérive ou haute trahison ?» pour comprendre où va l'Algérie. Pour saisir les enjeux et tout le mal que fait le système actuel au pays. Une intervention d'une rare clarté et d'une incroyable justesse qui fait frémir lorsqu'on prend conscience de ce qui nous attend demain. Voilà un homme qui parle vrai, mais qui n'aura jamais les faveurs de nos médias lourds, publics ou privés.