L'édition d'hier, dimanche, du quotidien d'information Mon Journal a fait l'objet d'une censure politique au niveau de l'imprimerie du Centre. Le motif ? L'événement du jour barrant la une du journal consacré à l'état de santé du président Bouteflika et dans lequel ce quotidien affirme, s'appuyant sur des «sources médicales françaises» confortées par «des sources présidentielles», que le chef de l'Etat est «rentré en Algérie mercredi dernier à 3h du matin dans un état de coma profond». Depuis l'arrivée aux affaires de Bouteflika en 1999, c'est la première fois que le pouvoir sévit au niveau de l'imprimerie pour empêcher la parution d'un journal pour un motif éditorial qu'il lui est difficile de ne pas assumer comme tel. Les pressions politiques directes d'hier, par le truchement de censeurs siégeant dans des commissions de «lecture» au niveau des imprimeries, ont cédé la place, sous le règne de Bouteflika, à de nouvelles formes sournoises de chantage, via notamment la distribution de la manne publicitaire. On se souvient, en effet, du fameux «imprimatur» (autorisation pour la publication des informations sécuritaires) que le gouvernement de Belaïd Abdesselam avait instauré à la suite de la publication de l'information sur l'assassinat des gendarmes de Ksar El Hirane, à Ouargla, ayant valu la suspension du journal El Watan et l'emprisonnement de six de ses journalistes. Le coup de semonce que vient d'essuyer notre confrère Mon Journal augure-t-il des jours (plus) sombres devant la presse algérienne et le retour aux pratiques honteuses des comités de censure de journaux de sinistre mémoire, officiant au niveau des imprimeries ? Certes, il apparaît pour le moins difficile, aujourd'hui, de revenir à la case départ compte tenu du nouveau contexte international et des pressions pesant sur le pouvoir en Algérie dans le sens de l'ouverture démocratique. Le «hors-jeu» sifflé à l'encontre du quotidien Mon Journal montre bien que le pouvoir ne s'embarrassera pas de sortir les cartons jaunes, voire même rouges, dans cette conjoncture particulièrement confuse ouverte par la maladie du Président, laquelle a brouillé toutes les cartes politiques à quelques encablures de l'élection présidentielle de 2014. Il reste à savoir si l'avertissement vaut uniquement pour les informations dérangeantes publiées par certains rares titres téméraires sur la maladie du Président ou si l'on cherche à faire taire les journaux qui fourrent leur nez dans les affaires sensibles impliquant de hautes personnalités du système. Le parquet d'Alger a réagi, hier, en annonçant des poursuites judiciaires à l'encontre de Hichem Aboud, directeur de Mon Journal, pour, entre autres lourdes charges, «atteinte à la sécurité de l'Etat». Dans cette affaire, le pouvoir a manqué manifestement de discernement et a cédé à la panique. Il aurait pu faire l'économie de cette grave entorse à la liberté de la presse et d'édition en laissant le journal censuré paraître tout en se réservant le droit d'apporter un démenti, si l'on estime que l'information est infondée. Voire de recourir à d'autres formes légales pour réparer le préjudice. Si préjudice il y a. Ce qu'a fait hier le parquet. Le tout est dans la grave qualification du délit présumé. Présentée comme une violation du secret d'Etat, l'information est sortie du cadre du délit de presse pour prendre les contours d'une affaire criminelle, politique qui renseigne encore et toujours sur la dangerosité du métier de journaliste en Algérie.