Pour Ismaïl Nourredine, expert judiciaire en économie et ancien président de la Commission d'organisation et de surveillance des opérations de Bourse (Cosob), les entreprises publiques concernées par l'ouverture du capital par le biais de la Bourse sont appelées à revoir la gouvernance et à s'engager sur la voie de la transparence. -Quelles sont les spécificités du marché boursier en Algérie ? Il y a lieu de dire que le marché financier en Algérie est resté en phase de démarrage depuis la date d'ouverture en 1999 du marché secondaire à la Bourse d'Alger, aussi bien en ce qui concerne son organisation que son mode de fonctionnement. En plus, il est caractérisé par sa taille réduite à un faible nombre d'entreprises cotées. Son cadre juridique et réglementaire est inachevé et date de 1993. Les services d'Intermédiation en opérations en Bourse (IOB) sont exercés par les banques de la place selon une approche administrative et procédurière. Beaucoup de services d'IOB importants pour le fonctionnement et le développement du marché boursier sont inexistants en Algérie alors qu'ils sont prévus par la loi de la Bourse des valeurs (analystes financiers, conseillers en placement, gestion de portefeuilles, OPCVM, spécialistes en bilans d'entreprises). Il convient de noter aussi le manque d'ouverture internationale de la Bourse d'Alger, notamment en ce qui concerne la possibilité d'investissement en titres des investisseurs étrangers. En fait, c'est pour remédier à cette situation de démarrage et passer à une phase de maturation, de professionnalisation ou d'émergence que la réforme du marché financier a été engagée en 2011. Il s'agit de revoir le mode de fonctionnement et d'organisation pour répondre à de nouveaux besoins de financement direct par le marché plus complexe et à long terme. -Où en est justement ce projet ? La réforme du marché financier s'est déroulée en deux étapes. Une première étape a permis d'évaluer la situation à travers l'état des lieux et la détermination des limites, des contraintes et surtout des pistes de conception et d'amélioration. Il se dégage des travaux des experts les pistes importantes suivantes : définir et mettre en place un nouveau modèle de fonctionnement et d'organisation moderne ouvert à de nouveaux acteurs professionnels indépendants des banques. Tout en renforçant l'autorité du marché dans le domaine de la supervision, d'enquête et d'injonction, proposer une loi cadre de modernisation du marché financier en Algérie pour accompagner l'introduction de nouvelles entreprises en Bourse et prévoir l'ouverture de l'activité IOB à de nouveaux acteurs professionnels, mettre en place un nouveau système informatique d'informations pour garantir le déroulement efficace de cycles entiers : négociation, compensation, règlement, livraison, adapter et renforcer la gouvernance des entreprises et l'autorité de marché pour leur permettre de faire face à une activité plus forte du marché (taille critique) et organiser un programme de formation et de communication à travers le territoire national.Il est même proposé d'associer les universités algériennes à la formation et à la promotion au niveau local des métiers titres de conseillers en placement et analystes financiers. Quant à l'étape de conception et de définition du modèle de fonctionnement et d'organisation, elle a permis à tous les intervenants de la place de participer, de dialoguer et discuter les grands choix déterminants avec les experts internationaux, en tenant compte des besoins et des spécificités institutionnels locaux et des pratiques internationales. -Qu'en est-t-il des résultats de ce travail ? Les premiers résultats présentés par les experts à la place le 05 décembre 2012 dégagent : un canevas de loi moderne élargie aux produits financiers et non seulement aux valeurs mobilières avec un renforcement de la mission de l'autorité, séparation et redéfinition des métiers titres, nouvelle définition de L'Appel public à l'épargne (APE) et des offres publiques, un cahier des charges pour acquérir un nouveau système de négociation, de compensation et de diffusion d'informations, de nouvelles conditions de définition, d'agrément, d'organisation et de supervision de chaque métier titre en fonction des risques associés, un mode de gouvernance de la Bourse d'Alger et de l'autorité de marché avec un dimensionnement et un positionnement du marché sur la place bancaire et économique et un système de formation et de certification par l'autorité de personnes qualifiées pour exercer chaque métier titre. A ce sujet, il y a lieu de préciser que ces propositions gagneraient à être complétées et validées par les parties prenantes concernées par ce nouveau schéma. Ce qui nécessite de réexaminer le choix de «back office central» au lieu et place du modèle de «registre central». Ce n'est qu'après ce choix qu'on peut définir l'architecture du modèle ciblé, ainsi que le système de négociation, de compensation et de règlement-livraison avec la définition du nouveau cadre d'intervention et d'organisation des métiers titres. Quant au canevas de loi, il n'a traité que les aspects juridique et réglementaire qui concernent seulement les acteurs du marché financier. Il est nécessaire de mettre en cohérence ce projet de loi avec les textes de loi fondamentaux du pays qui déterminent l'environnement économique des affaires. La mise en œuvre de cette réforme nécessite l'accompagnement des acteurs et la validation des choix déterminants par un partenaire stratégique international, dans le cadre d'un pilotage gouvernemental. -Quels sont, dans ce cas, les facteurs de blocage qui empêchent l'émergence d'un marché boursier dynamique ? Il est clair que cette ouverture du parquet de la Bourse d'Alger aux PME dont le capital social est inférieur à 500 MDA sans aucune condition de taille, ni d'historique, dépend fortement de l' intérêt et de la mobilisation des promoteurs de PME en Bourse que sont les banques, les établissements financiers et les bureaux conseils financiers et juridiques listés au niveau de l'autorité. Le marché financier en Algérie est appelé à se développer et à mobiliser l'épargne publique et privée dans le financement de la croissance des entreprises, des banques et des établissements financiers publics et privés. Pour cela, Il est prudent d'engager la mise en œuvre de la réforme du marché financier afin de préparer les conditions d'efficacité, d'intégrité et de sécurité nécessaires à l'alimentation du marché et l'accompagnement des nouvelles entreprises en Bourse. Il reste à convaincre ces promoteurs des PME en Bourse à organiser des services de corporate finance pour apporter le conseil, l'évaluation, la structuration du bilan des entreprises et la proposition de plan de financement à court, moyen et long terme de chaque PME. En plus, il est attendu du promoteur en Bourse d'informer, prospecter et recueillir les intentions des investisseurs institutionnels et des autres investisseurs pour les amener à souscrire dans l'augmentation du capital social de la PME par le marché financier. Le nouveau règlement général de la Bourse prévoit au minimum 3 institutionnels ou 50 autres petits porteurs pour introduction et cotation au parquet de la Bourse d'Alger. L'aboutissement de ce tour des investisseurs au niveau de la place permettra au promoteur en Bourse d'élaborer, signer et présenter la notice d'information de la PME à l'autorité de marché. La relation de la PME avec son promoteur en Bourse est définie par une convention dont le modèle est donné par l'autorité. Une copie de la convention signée par les deux parties est déposée au niveau de l'autorité du marché. Après l'introduction de la PME en Bourse. Le promoteur s'engage pour au minimum 2 ans à informer la place sur les conditions et les performances de la PME. -L'entrée en Bourse d'une dizaine d'entreprises publiques est prévue selon le ministre des Finances, pensez-vous que cette démarche sera porteuse ? La proposition d'ouverture du capital social d'un groupe d'entreprises publiques (Spa/EPE) est une très bonne nouvelle pour le marché boursier d'Alger. Ces entreprises portent certainement des projets de croissance et intègrent dans leur stratégie de développement la dimension de financement direct par le marché, la recherche de partenaires stratégiques, accéder à de nouveaux marchés et maîtriser de nouvelles technologies. L'équipe dirigeante de la Spa/EPE qui va se charger de lever des fonds par le marché doit être formée pour se préparer à accepter de nouveaux partenaires (actionnaires), à revoir la gouvernance et s'engager sur la voie de la transparence et le reporting financier. Il est important de comprendre que le modèle de gestion actuel des entreprises publiques doit s'adapter au nouveau contexte pour appliquer les bonnes pratiques de gouvernance et réaliser les objectifs arrêtés avec les partenaires — actionnaires. A ce sujet, ce n'est un secret pour personne que de dire que l'ouverture du capital social des entreprises publiques actuellement cotées en Bourse n'a eu aucun impact sur leur mode de gestion. Les principes et les pratiques de bonne gouvernance ne sont pas appliqués par ces entreprises cotées à la Bourse d'Alger. -Pour conclure, comment voyez-vous la Bourse d'Alger à moyen terme ? Le marché financier en Algérie est appelé à se développer et à mobiliser l'épargne publique et privée dans le financement de la croissance des entreprises, des banques et des établissements financiers publics et privés. Pour cela, il est prudent d'engager la mise en œuvre de la réforme du marché financier, afin de préparer les conditions d'efficacité, d'intégrité et de sécurité nécessaires à l'alimentation du marché et l'accompagnement des nouvelles entreprises en Bourse.