Le sujet fait désordre depuis deux ans. Le chômage a-t-il baissé autant que l'affirme l'ONS ? Les experts sont d'accord pour reconnaître une accélération de l'emploi, mais qui ne va pas nécessairement avec une baisse aussi forte du chômage. Explications dans un atelier spécialisé à l'initiative du groupe Entreprendre. L'estimation du taux de chômage en Algérie pose de trop nombreux problèmes pour être un indicateur sérieux pour les programmes de l'emploi. C'est l'une des conclusions manifestes qui est ressortie de l'atelier de travail sur l'emploi et le chômage en Algérie à l'initiative du groupe « Entreprendre » la semaine passée à Alger. L'ancien chef du gouvernement Ahmed Benbitour a intervenu dans le débat qui a suivi les interventions d'experts pour relever malicieusement qu'en faisant baisser de 15 points en quatre ans le taux de chômage, la création d'emplois a dépassé en Algérie la règle qui veut que pour un point de croissance du PIB corresponde en moyenne 0,7% de croissance de l'emploi. Ahmed Benbitour ajoutera qu'à cette allure de résorption du chômage, « la croissance s'arrêtera dans cinq ou six ans car il n'y aura plus de main d'oeuvre disponible ». Saïd Ighilahriz, directeur de Echotechnics, apportera dans le préambule de son intervention plusieurs tableaux où des sources officielles différentes divergeaient sur la population occupée et où d'une année à l'autre l'évolution de cette population produisait un effet de montagne russe. « Surtout pas la norme internationale ! » Pourquoi donc le taux de chômage affiché par l'ONS n'est-il pas réputé convaincant dans la communauté des statisticiens et des économistes ? C'est un exposé fort précis de M. Baazizi sur la méthodologie utilisée dans les enquêtes qui va - ce nétait pas le but affiché de l'exposant - permettre à l'assistance de comprendre comment les chiffres du chômage ont pu s'améliorer aussi spectaculairement, même si tout le monde accorde une réalité au recul du chômage en Algérie. La stricte application du protocole du BIT dans l'enquête auprès des ménages de l'ONS de 2004 tient une part d'explication dans la chute anormalement importante du taux de chômage de 28% à 15% de 2001 à 2005, une baisse de 11,3% en moyenne annuelle. « Est considérée comme occupée toute personne ayant eu une activité rémunérée d'au moins une heure dans la semaine de référence » qui est la semaine précédant la semaine de l'enquête, habituellement conduite en septembre pour éviter « les biais de saisonnalité », explique d'entrée M. Baazizi. « Cela veut bien dire que si un jeune a vendu des cigarettes pendant une soirée une seule fois durant un trimestre dans la semaine de référence il est comptabilisé comme occupé ». Mais ce n'est pas tout. Pour être comptabilisé parmi la population active, celle à laquelle les calculs rapportent le nombre de chômeurs pour évaluer le taux de chômage, il faut en dehors des conditions d'âge (16 ans - 59 ans) satisfaire à un chapelet de critères qui mis bout à bout ont toutes les chances de faire passer l'interviewé dans la colonne des inactifs. Ainsi pour être considéré comme actif, il faut notamment avoir matériellement cherché du travail dans le mois précédant l'enquête et s'être déclaré chercheur d'emploi dans le trimestre précédant l'enquête. Conséquence de l'application de ce protocole d'enquête, la population active, c'est-à-dire en âge de travailler et en quête de travail, est délibérément comprimée. « On fait tout pour gonfler le numérateur (population occupée) et dégonfler le dénominateur (population active) », a commenté Ahmed Benbitour. « Ce protocole d'enquête obéit à la logique des pays qui ont des systèmes d'assurance chômage et qui traquent les faux chômeurs ». « Il ne faut surtout pas prendre les normes internationales pour la gestion du marché du travail algérien », a-t-il rétorqué à M. Annane, directeur de l'emploi au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, qui se voulait rassurant en rapportant le verdict d'un expert français, M. Maran, selon lequel les enquêtes auprès des ménages de l'ONS étaient conformes au protocole préconisé par le BIT. Le continent flou des femmes actives La méthode d'estimation a donc changé dans le sens de la sous-estimation du chômage. L'intervention de Saïd Ighilahriz intitulée « A-t-on oublié les femmes chômeuses » est venue montrer qu'une autre sous-estimation contribue à faire baisser la population active et donc le taux de chômage qui s'y rapporte. Il s'agit de l'évaluation de la population féminine active. M. Annane du ministère de l'Emploi et de la Solidarité avait déjà dans son intervention mis l'afflux massif des femmes sur le marché de l'emploi en tête des mutations « que nous n'avons pas vu venir ». L'enquête ONS aurait donc très largement sous-évalué la part féminine de la population active. Les enquêtrices auraient tendance à considérer trop vite comme inactives des femmes au foyer instruites qui n'ont pas toujours la possibilité, dans l'entretien, d'afficher leur volonté de trouver un travail. Le bureau Echotechnics a conduit lui aussi une enquête auprès des ménages en 2004 qui recoupent les résultats sur l'emploi de l'enquête ONS mais qui diverge sur la population active féminine ; il en ressort un taux de chômage de 24,9 % dans l'enquête Ecotechnics contre 15,8% dans celle de l'ONS. La reprise vigoureuse de création d'emplois - 6,6% de croissance annuelle depuis 2001 selon les chiffres officiels - pousse plus spontanément des femmes qui n'espéraient pas trouver du travail à devenir demandeuses d'emploi. La croissance modifie les limites de la population active féminine encore plus fortement que celle de la population active globale. Dautres raisons sont citées à l'avènement des femmes sur le marché du travail : leur niveau d'instruction en hausse, les sollicitations de l'offre du marché qui créent un besoin de revenus supplémentaires dans les ménages, l'amélioration de la situation sécuritaire ou encore la meilleure disposition de la société algérienne à l'égard du travail des femmes. L'enjeu de ce biais de l'estimation de la demande de travail féminine est cependant très important. Il laisse entendre que l'actuelle croissance à 5% en moyenne annuelle est loin de pouvoir absorber une demande de travail beaucoup plus forte à cause des femmes chômeuses actuellement non comptabilisées. Le débat a déploré l'absence d'instance éthique indépendante pour mettre de l'ordre dans la production de statistiques publiques. Pour Saïd Ighiliahriz, les chiffres du chômage souffrent du traitement « politique ». « Cest comme si l'on demandait au médecin de faire sortir de l'insuline d'un pancréas malade. Il ne faut pas mentir sur le diagnostic en économie comme en médecine. S'il y a diabète, cela ne sert à rien de presser le pancréas », résume, avec son sens de l'image, Abdelmadjid Bouzidi, économiste et un des initiateurs de l'atelier. « Je connais des responsables qui négocient le bon chiffre du chômage au téléphone ».