Le comédien et metteur en scène de théâtre, qui fut aussi un des chefs de la Zone autonome d'Alger, décédé mercredi à l'âge de 94 ans, a été enterré hier au cimetière d'El Kettar (Alger). Jusqu'à ce mercredi 29 mai, Habib Réda, 94 ans, était le doyen des hommes et femmes de théâtre algérien. Mohamed Hattab, de son vrai nom, est parti en silence, presque sur la pointe des pieds, rejoignant Majid Réda, son frère cadet, un autre artiste des planches, mort au combat dans les Aurès. Lui s'est éteint des suites de la terrible maladie de Parkinson, entouré de l'attention et de la prévenance de Taha El Amiri, un de ses plus fidèles amis, celui auquel il a confié un volumineux fonds pour la publication de ses mémoires. C'est en 1939, alors qu'il venait d'avoir 20 ans, que Mahieddine Bachtarzi le recruta pour étoffer l'effectif de sa troupe musico-théâtrale. Il fut ainsi de la deuxième génération d'artistes qui ont contribué à asseoir l'art théâtral en Algérie, lui fournissant son répertoire et formant son public. Artiste multiple, il avait écrit et dirigé la musique de deux opérettes Othmane en Chine dont il a écrit et dirigé la musique. La deuxième opérette, écrite par Mustapha Kechkoul, c'était Daoulet en'ssa (L'Etat des femmes). Sa prestance et sa présence aidant, il fut le premier Algérien à jouer dans le premier film parlant tourné en Afrique du Nord, précisément au Maroc en 1947/1948. Le hasard a voulu que ce soit à l'issue d'une année de tournage au Maroc, en 1955, qu'il rejoigne les rangs du FLN. Deux années après, il plongea dans une totale clandestinité, passant de l'art à l'arme contre l'inhumain ordre colonial. Il sera l'un des héros de la bataille d'Alger, celui qui a constitué le réseau des «Djamilate». Et suprême engagement, il fut lui-même poseur de bombes, son teint européen lui permettant de passer inaperçu. «Ce sont eux qui ont commencé à poser des bombes ! L'ordre a été donné de rendre coup pour coup après la bombe de la rue de Thèbes contre des civils algériens de la Basse-Casbah. (…) J'avais deux militants pour assurer mes arrières. Oréra C'étaient des policiers algériens !», nous avait-il déclaré à El Watan en 2008, après 45 ans de silence. Parmi les anecdotes qui le déchirèrent lors de la Bataille d'Alger, il en est une de particulièrement atroce. Alors qu'il venait de déposer une bombe artisanale à l'arrêt d'un bus, un de ses proches parents se dirigea vers cet arrêt pour prendre le bus. Il était impossible d'arrêter la machine infernale. Il dût passer son chemin la mort dans l'âme. Heureusement, ce jour-là, la bombe n'a pas explosé. En août 1957, Habib Réda tombe dans les mailles du filet de la répression coloniale. Il est torturé et condamné à mort. Pourtant, ce nationaliste alla se recueillir sur la tombe de celui qui l'avait amnistié, le général de Gaulle. «Cet acte, jusque-là tu, est à la mesure de l'artiste, de son humanisme et de l'inexprimable que seul l'art est en mesure de traduire», explique l'homme de théâtre Noual Brahim. «Ah, si les ultras de “l'Algérie française“ avaient appris son passage à Colombey-les-Deux-Eglises !», en tremble encore Taha El Amiri. A l'indépendance, pris de vitesse par ceux qui mirent le théâtre algérien sous monopole étatique, il déserta les scènes. La délégation municipale spéciale d'Alger s'apprêtait à lui confier l'Opéra d'Alger, lui désignant pour assistant Jacques Charby, un artiste anticolonialiste décédé en 2006. Il se lança dans les affaires à l'étranger, vivant pour l'essentiel de son temps aux Etats-Unis où il résidait.