-Quel a été le contexte sociopolitique de cette marche pour l'égalité ? Au début de 1983, aux Minguettes, dans la banlieue-est lyonnaise, comme dans la plupart des quartiers populaires en France, la pression sur les jeunes issus de l'immigration a atteint son paroxysme. La réalité dépassait parfois la fiction, on leur tirait dessus comme sur des petits lapins. La police accomplissait le rôle que le pouvoir en place lui avait confié. Cette institution se cachait, pour justifier sa brutalité, sous le prétexte de la nécessité de régler la question de la délinquance et de rétablir l'ordre dans ces cités. Nous, on disait qu'il faut surtout, pour atteindre cet objectif, respecter le droit des jeunes immigrés, comme on nous désignait à l'époque, à l'égalité et à la justice. -Pourquoi vous étiez-vous impliqué personnellement dans ce combat ? Je suis natif de M'sila en Algérie. En tant que première génération d'immigrés, on souffrait d'un racisme terrible, né des séquelles de la guerre d'Algérie. C'était évident que certains voulaient prendre leur revanche au travers des enfants d'immigrés algériens particulièrement. Nous avions dit que nous ne pouvions plus continuer à subir ça. Nous tuer était devenu une question presque anodine, une habitude ! On voulait désactiver une situation insupportable. Le 21 mars 1983, il y a eu aux Minguettes des émeutes et des affrontements avec la police. A la suite de quoi, nous avons fait une grève de la faim pour dénoncer ce que nous subissions. -Et comment vous est venue, ensuite, l'idée d'organiser une telle marche, devenue historique ? En juin, j'entends des cris en bas de mon immeuble. C'était en fait ceux d'un gamin du quartier, pris entre les dents d'un chien. Sans réfléchir, je lui porte assistance. Le chien ne voulait pas laisser sa proie et donc je le violente pour qu'il lâche le petit enfant. En réalité, c'était un chien policier. Son maître me tire dessus à bout portant, récupère son chien et part comme si de rien n'était. A cette époque la justice rendait des verdicts scandaleux. La vie des immigrés et de leurs enfants, ça ne valait pas beaucoup. C'est pour ça que nous ne pouvions pas rester indifférents. Il fallait faire quelque chose. Moi je m'imprégnais de la non-violence. Sur le lit d'hôpital, où je suis resté plus d'un mois, je regardais un film sur la vie de Gandhi et de sa marche pacifiste, reprise aussi par Martin Luther King. Donc l'idée nous est venue à mes amis et moi, de faire une marche Marseille-Paris pour l'égalité et contre le racisme. Le seul objectif de la marche était de réclamer le droit à l'égalité.