Partie de Marseille le 15 octobre 1983, ce qui est devenu la « marche des beurs » arriva à Paris le 3 décembre 1983. Une première quasi révolutionnaire, croyait-on alors, qui permettrait aux jeunes Français d'origine étrangère d'être reconnus. L'accueil par le président Mitterrand en personne donnait la nette impression que tout allait changer. Déjà l'opinion publique devait, devant le fait accompli, changer d'opinion sur les « Arabes », capables de revendiquer au grand jour leur existence pleine et entière avec fierté. Ils étaient là pour rester. Autant les prendre au sérieux. Alors que les idées du Front national prenaient racine et que le parti de Jean-Marie Le Pen grandissait, les « beurs », tout au long du parcours, étape après étape, délivraient le message dont ils étaient porteurs : plus de dignité et d'égalité. Outre les médias traditionnels de l'époque, dont Libération qui livrait de pleines pages, mais aussi la télévision de ce début de l'ère de relative libération médiatique mitterrandienne, les marcheurs purent compter sur les nouvelles radios associatives dites « libres » pour se faire connaître. Il y en avait dans chaque ville traversée. Mais au bout, en fait de changement, il n'y en eut guère, si ce n'est l'apparition d'une nouvelle génération d'hommes et de femmes issus de l'immigration qui se firent une place au soleil à force d'efforts et de persévérance, en faisant valoir leurs compétences. Certains dans les journaux, d'autres dans le mouvement associatif ou syndical, d'autres encore dans la politique, peu à peu, armés de conviction et de patience. Un certain nombre d'initiatives dans les années suivantes furent directement la résultante de la marche, comme la création de SOS racisme lors de la seconde marche, en 1984, avec son slogan qui fit fureur « touche pas à mon pote ». Personne ne vit vraiment que derrière la main de Fatma se cachait celle du pouvoir socialiste qui poussait SOS racisme, dont le leader d'alors, Harlem Désir, est aujourd'hui un des pontes du parti socialiste. Dans la même lignée, plusieurs associations locales virent le jour, dans la ligne directe de l'autorisation laissée aux étrangers de présider des associations (fruit de l'arrivée au pouvoir de la gauche en 1981). Plus tard, une des plus remarquables créations fut la naissance de « Ni putes ni soumises ». Avec l'effet pervers de montrer du doigt non pas le pays d'accueil seulement mais aussi les comportements dans les cités sensibles, notamment vis-à-vis des filles. La nomination au poste de secrétaire d'Etat de la présidente de cette association, Fadéla Amara, avec d'autres ressorts politiques, est peut-être aussi à mettre sur le compte des retombées de cette première marche des beurs en 1983. Bien sûr, le balayage de cet événement historique est bien rapide et incomplet. Il faudrait ajouter au passif les émeutes dans les banlieues, dès 1986 aux Minguettes à Lyon, et en plusieurs endroits du pays en 2005. Elles sont là pour tempérer les effets réels de la marche de 1983, et relativiser la « politique de la ville », un des chantiers du mitterrandisme. Mais la France a cependant relativement évolué. De quasi zéro conseiller municipal en 1983, on en compte des milliers en 2008, 25 ans après. Même si c'est un parcours du combattant, de nombreux « beurs » sont parfois à des postes-clés dans l'administration publique, la justice, la police… Et on a même désormais des préfets issus de l'immigration arabe. Mais au fond, pour le « jeune de base », 2008 n'est pas vraiment éloigné de 1983.