Que faire autour du 5 juin, Journée mondiale de l'environnement ? Visiter les environs pour voir ce qu'il s'y passe, entre Alger, Blida et surtout Chréa, où des conférences sur le sujet se déroulent. Avec la participation d'une foule d'experts nationaux et internationaux, comme le photographe-écolo Yann Arthus-Bertrand. Un peu d'air. Chréa, 70 km d'Alger, 1400 m d'altitude. De la hauteur, de la fraîcheur, un peu de brume et une agitation inhabituelle dans ce petit village désœuvré de l'Atlas blidéen en ce début de semaine. En cause, une foule d'étudiant(e)s, d'experts et d'entrepreneurs, réunis pour «L'environnement et le développement durable», thème de la journée. C'est moderne, caméras, micros, écrans et tablettes, et organisé par les étudiants de l'AIESEC sous le label TEDx, concept international et indépendant (voir encadré). Le ton est vite donné par Yann Arthus-Bertrand qui survole le monde et l'Algérie en hélicoptère depuis des années : «Quand j'étais né, on était 2 milliards sur Terre et les experts sont convaincus que la planète ne sera plus viable en 2100.» Ouf, on a encore un peu de temps, surtout que pour arriver à Chréa si on n'a pas d'hélicoptère, il faut d'abord sortir d'Alger et de ses inextricables embouteillages installés comme autant d'atteintes à l'environnement. L'autoroute Est-Ouest est bondée d'anti-écolos qui roulent, heureusement, il y a des sorties de secours ; au niveau de Baba Ali, une ancienne plaque indique un raccourci, Chréa, par le vieux chemin de wilaya 114. Birtouta en longeant l'Oued Chiffa qui monte, puis un carrefour improbable où la montagne, déserte et inquiétante, fait face. Le gendarme, vert comme un champ bio, est rassurant : «Normalement, il n'y a pas de problème.» Sauf qu'il faut monter par Tabaïnet, déserte, puis Sidi Serhane, désert, laissant hammam Melouane à droite, en contrebas, pour retrouver l'oued Chiffa, pollué. Et un barrage militaire, vert aussi : «Non, la route est fermée», explique intrigué par l'apparition le sergent en faction. Atteinte à l'environnement ? Non. Terrorisme résiduel, et la question centrale qui se pose aux pays comme le nôtre, comment recycler ses déchets ? Il faut alors redescendre, grand détour par Bouinan, Soumaâ, Ouled Yaïch et Blida pour retrouver la route classique qui mène à Chréa fréquentée mais polluée. Le temps presse, car le timing TED est très précis, les experts ont droit à 17 minutes d'intervention, pas une de plus, et se doivent d'être synthétiques et riches, à tel point que les conférenciers écrivent leurs interventions des mois à l'avance. L'endroit est bien choisi, le Parc national de Chréa a été classé comme réserves de biosphère par l'Unesco, site protégé de 26 524 ha situé en plein cœur de l'Atlas, où «26% de la faune nationale et 812 espèces végétales vivent», aime à rappeler Dehal Ramdane, directeur de ce parc célèbre pour ses champignons et sa hyène rayée. Mais Yann Arthus-Bertrand n'est pas entièrement d'accord : «L'espèce la plus menacée aujourd'hui est l'homme.» Peut-être. D'où sûrement, cette ancienne route fermée qui mène à Chréa. Yann Arthus-Bertrand vu de haut Séance star, les étudiants se pressent autour de Yann Arthus-Bertrand, se prenant en photographie avec le photographe. Méconnu il y a quelques années, YAB a eu une bonne idée (la seule de sa vie, disent ses détracteurs) mais forte : s'élever et voir la Terre vue du ciel. S'il en a fait un documentaire célèbre, Home, qui rassemble la beauté de la planète et les méfaits que l'homme lui fait subir, Yann Arthus-Bertrand est surtout connu pour ses photographies, vues du ciel aussi. Pour le cas national, l'homme avait survolé toute l'Algérie, premier à avoir eu les autorisations nécessaires, grâce à Chérif Rahmani, l'ex-ministre de l'Environnement, et en avait fait un livre, rendant hommage «à ce pays magnifique et méconnu». Mais il n'y a pas que Arthus-Bertrand à Chréa. Entraînés par la notoriété de TED et le dynamisme des étudiant(e)s qui ont organisé l'événement, des entrepreneurs sont venus. Parmi eux, Saïd Idjerouidène, frère de l'autre Idjerouidène, PDG d'Aigle Azur. Il ne s'agit pourtant pas pour lui de ciel bleu, mais de terre. Investi dans «l'économie verte», concept régulièrement revendiqué par Mme Dalila Boudjemaâ, secrétaire d'Etat chargée de l'environnement. Il fabrique des huiles essentielles et tente d'imposer un sac papier japonais biodégradable en 15 jours pour en finir avec le serial-killer de l'environnement, le fameux sachet noir : «Il ne revient pas plus cher.» Il se ballade avec des bactéries tueuses de déserts, des avaloirs en sable compacté (pour changer les avaloirs en fonte qui sont régulièrement volés pour leur prix) et un stock d'engrais naturels qui ne trouve pas preneur. Idjerouidène vu du ciel ? Vu de dessous, les problèmes d'environnement restent complexes : «Le ministère de l'Agriculture ne veut toujours pas homologuer mes engrais naturels faits à partir de produits algériens.» Pour lui comme pour d'autres, les lobbies du chimique sont aussi puissants que leurs engrais et tuent nos terres. D'autant «qu'économiquement, ce n'est pas viable, les engrais chimiques sont au même prix que les engrais naturels et de plus, on se fait arnaquer de belle manière», ajoute-t-il en rappelant qu'une société française nous achète du phosphate à bas prix chez Pherphos (à 80 dollars la tonne) pour nous le revendre sous forme d'engrais, à 7 fois le prix. La solution ? Elle est éthique pour Arthus-Bertrand, politique pour Idjerouidène. Fin de la journée environnement à Chréa. Mais ce n'est pas fini, le lendemain, 4 juin, c'est une «première journée scientifique et technique de l'eau, de l'environnement et du développement durable» qui se déroule à l'université Saâd Dahleb de Blida, coorganisée par le même Parc national de Chréa. Il faut redescendre. SLALOM À TRAVERS LES CÈDRES De Chréa, comment descendre vers la Mitidja et Blida ? Il y a évidemment la route classique, la nationale 37 d'une vingtaine de kilomètres qui slalome à travers les cèdres et les décharges sauvages pour atterrir sur la ville des Roses, quelque peu défraîchie par le poids des ordures. Il y a aussi le téléphérique, même s'il est souvent à l'arrêt pour des problèmes techniques. Il y a surtout la descente sauvage par l'oued Sidi El Kebir, à travers taillis et forêts comme vient de le faire Abdenour Zahzah, cinéaste et documentariste, qui en sort un film bien nommé Oued l'Oued, bientôt sur vos écrans. Zahzah écolo ? «Pas vraiment», plaisante ce natif de Blida, «j'éteins les lumières et je ferme les robinets parce que ça coûte cher», ajoutant sérieusement : «Je pense qu'il faut uriner en prenant sa douche, ce qui économise une chasse d'eau.» L'eau justement : c'est à quelques mètres au-dessous de Chréa, l'une des sources de l'oued Sidi El Kebir, que Abdenour Zahzah, accompagné du photographe Nacer Medjkane, a démarré son film, pour suivre les sinuosités de l'oued qui finit, après beaucoup de souffrances, par rejoindre l'oued Chiffa, puis le Mazafran pour se déverser dans la mer, sur la plage Colonel Abbas. Dévoilant dans ses méandres les familles déplacées par le terrorisme et quelques agriculteurs bio, casseurs de pierre et décharges sauvages, un moulin de semoule fermé (ex-Sempac), des éleveurs de poussins et une maraboute amoureuse du rose et des poupées, des gnawis perdus et des partis politiques isolés, ainsi qu'une énorme station Nestlé qui revend l'eau de l'oued en bouteilles. Dans ce majestueux massif, le constat est clair, là où il y a des hommes, c'est dégradé, là où il n'y a personne, c'est propre et beau. Eloge du terrorisme écolo ? Non, mais vue de haut, en photo, l'Algérie est un très beau pays. Vue d'en bas, même en photo, un peu moins. Retour à Alger. Par l'autoroute, bien sûr. Quand on est shootés au gaz d'échappement et aux rejets d'usines, le manque survient rapidement.