Les voleurs de liberté est le titre du nouveau roman de notre ancien confrère, Abdelkader Hamouche, aujourd'hui avocat au barreau d'Alger. La presse et la justice, deux métiers et deux passions qu'il a pratiqués et exercés avec autant d'engagement, de conviction et de perspicacité pour l'un et l'autre, offrant à cet ancien journaliste de l'ancien hebdomadaire, Algérie Actualités, qui s'est lancé dans l'aventure de l'écriture et du roman, une source d'inspiration féconde dont il puise la matière première à partir d'expériences tirées du vécu. Dans ce nouveau roman, Abdelkader Hamouche invite ses lecteurs et ses confrères journalistes de sa génération, qui ont partagé avec lui l'expérience de la pratique journalistique sous le règne du parti unique, à un voyage dans le passé pour nous restituer le dur métier de journaliste, qui a une haute idée de sa mission d'informer face aux pressions du pouvoir. C'est un récit autobiographique que nous livre l'auteur dans ce nouveau roman, à travers un reportage économique sur un contrat gazier algéro-espagnol qui le conduira tout droit en prison pour «avoir porté atteinte aux intérets supérieurs de l'Algérie». Le crime parfait dans les régimes autocratiques. En se faisant l'écho d'une reflexion de «voix algériennes» qui considéraient face à la crise qui avait opposé les deux pays dans les années 1980 autour du dossier du prix du gaz, qu'il était dans l'intérêt stratégique de l'Algérie de réviser à la baisse les prix du gaz livré à l'Espagne, comme le réclamait ce partenaire, en vue de préserver ce marché important pour l'Algérie. Le journaliste était loin d'imaginer qu'il avait signé son arrêt de mort. Il a payé cash son audace professionnelle en relayant la thèse espagnole, alors qu'il pensait, en son for intérieur, que cette réflexion, à contresens des positions officielles de l'Algérie, qui lui avait été suggérée par notre ambassadeur à Madrid sous couvert de l'anonymat, pouvait contribuer à dénouer la crise dans l'intérêt de l'Algérie. Il voulait briser des tabous politiques et professionnels. La quête du scoop l'a poussé, d'une certaine manière, à transcender les limites politiques de la liberté de la presse dans un système de parti unique régi par l'unicité de la pensée et de l'action politique. Il fallait faire ses preuves en termes de compétence vis-à-vis de ses collègues et de ses responsables dans une conjoncture, où les missions à l'étranger suscitaient toujours jalousie et mécontentement dans les rédactions. Mais là n'était pas sa seule et unique motivation d'oser aborder le sujet sous un autre prisme que par le bout de la lorgnette officielle. De tous ses contacts en Espagne, il avait estimé que la confidence de l'ambassadeur, faite «off the record», était la seule information nouvelle qui valait la peine d'être exploitée. En toute conscience et patriotisme. Mal lui en pris. Il en paya un lourd tribut. Cueilli de façon musclée de son sommeil à son domicile par des barbouzes au milieu de la nuit, il fut conduit, encagoulé, dans un lieu secret — une caserne des «services» — pour interrogatoire où il y a connu les pires humiliations avant d'être jeté dans une cellule. Une mésaventure dont on n'en se remet jamais, comme il le relate avec forces détails, avec les témoignages qu'il livre sur les conditions de son incarcération, les doutes qui l'habitaient et la peur de faire les frais d'un complot, où il craignait être tombé, entre hommes du pouvoir qui voulaient régler des comptes par presse interposée. La solitude et l'impuissance du journaliste face à son destin et dans l'épreuve : c'est un autre volet du roman que l'auteur a voulu mettre en exergue. Lâché par tout le monde, depuis le diplomate qui l'avait briefé en off et qui s'était rebiffé devant les enquêteurs, niant avoir inspiré le journaliste dans l'article incriminé, ce même ambassadeur qui n'a pas hésité, pour se tirer d'affaires, à arracher à son conseiller économique, présent pourtant à l'entretien, un faux témoignage en sa faveur, jusqu'aux responsables de son journal qui se sont passé le mot pour enfoncer le journaliste et lui faire porter le chapeau à lui seul. La solidarité de ses confrères du journal et des autres rédactions a mis du temps à se manifester. La peur et l'absence d'organisation corporatiste sur des combats politiques, comme la liberté d'expression et de la presse, les luttes démocratiques qui avaient lieu dans la clandestinité justifiaient la désertion des journalistes du terrain des luttes en tant que force agissante et organisée. Une commission composée de confréres de son journal a été mise sur pied. Des démarches sont tentées auprès de la tutelle, de responsables du ministère de l'Energie… sans suite. Après une semaine d'incarcération, Abelkader Hammouche retrouve la liberté et sa famille. Mais pas son métier qui le fascinait tant. Ses «ravisseurs» lui ont signifié qu'il «avait besoin de repos» et qu'il fallait qu'il reste éloigné de la rédaction pendant un certain temps. La mise au placard a duré une année. Le sujet abordé, par notre ancien confrère d'Algérie Actualités est aujourd'hui d'une brulante actualité avec nos partenaires qui pressent l'Algérie de réviser ses prix du gaz. Quelle serait la réaction des pouvoirs publics si un journaliste algérien osait la même reflexion que celle faite par Abdelkader Hammouche voilà près de 30 ans en arrière ? La même menace pèse toujours sur la tête des journalistes. Au nom de la disposition constitutionnelle de l'atteinte aux intérêts supérieurs de la nation, toutes les dérives répressives contre la presse sont permises.