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«Il ne faut pas rééditer l'expérience des céréales dans le Sud d'il y a 20 ans» Brahim Mouhouche. Professeur à l'Ecole supérieure d'agronomie d'Alger (ENSA)
Battant en brèche le discours optimiste de ces derniers mois qui prône l'intensification de la céréaliculture dans les régions du Sud, le professeur Brahim Mouhouch recommande, dans cet entretien, de se détourner des cultures dont le prix de revient est moins important à l'importation, notamment les espèces nécessitant la mobilisation d'importantes ressources hydriques, comme le maïs. -Quelles sont les potentialités agricoles réelles dans les régions arides et semi-arides où les cultures sont basées essentiellement sur l'irrigation ? La question est d'une pertinence indéniable lorsqu'on constate le grand intérêt accordé de plus en plus aux investissements agricoles dans les régions du Sud. Cette partie du territoire est, certes, vaste, on peut y développer beaucoup d'activités, mais malheureusement, en termes de ressources hydriques, il n'y a que des ressources fossiles et non régénérables. Donc, il faut les ménager et ne les utiliser qu'en cas de nécessité. Pour l'activité agricole, il faut concentrer les efforts sur le nord du pays, où les quantités d'eaux superficielles sont abondantes et suffisantes pour les besoins en irrigation. Laquelle eau, malheureusement se diverse dans la mer, faute de mobilisation pour les besoins agricoles. La mobilisation des eaux dans la partie nord du pays se fera à travers des actions de collecte des eaux pluviales dont l'aménagement de retenues collinaires, la construction de barrages pour les utiliser par la suite à bon escient. Mais, les efforts à consentir pour le développement de l'agriculture ne doivent pas se limiter à la mobilisation des ressources hydriques. L'eau seule ne fait rien du tout. -Justement cette volonté affichée par les pouvoirs publics pour intensifier l'investissement agricole dans le Sud ne risque-t-elle pas de déboucher sur une exploitation démesurée des ressources ? Les pouvoirs publics focalisent trop ces derniers temps sur les régions du Sud, il y a même un programme pour l'intensification de la culture du maïs, un produit dont l'Algérie reste fortement dépendante du marché international. Pourquoi veut-on alors produire du maïs dans le Sud ? Parce que c'est une culture qui nécessite la mobilisation de surfaces agricoles énormes, mais aussi d'importantes ressources hydriques. Donc pour éviter de tomber dans la surexploitation des ressources hydriques, il serait plus judicieux de remplacer une partie de la consommation en maïs par d'autres produits plus disponibles sur le marché local ou moins coûteux à l'importation. Le maïs est une culture d'été et des régions comme Adrar ou El Menea, où les autorités veulent développer cette culture, c'est l'enfer en été, donc ces cultures consomment énormément d'eau. Bien que les rendements pour le maïs soient particulièrement élevés par rapport aux autres types de céréales (entre 80 et 100 quintaux/hectare), le projet ne pourra jamais être rentabilisé si l'on tient compte de l'énorme coût des besoins en eaux. Il n'y a aucune logique économique qui suggère de consommer plus d'eau pour un produit qui revient moins cher à l'importation. Il ne faut pas rééditer l'expérience des céréales dans le Sud d'il y a 20 ans et maintenant tout est tombé à l'eau. Dans toute stratégie agricole, il faut aller doucement. Il ne faut pas se précipiter. Tout un processus et une technicité sont à respecter. Par exemple, s'il n'y a pas de fertilisation, il est évident que les rendements baisseront graduellement. -Donc, on peut dire que les politiques publiques sont conçues sans étude préalable du terrain… Pas à ce point. Peut être des études préalables se font, mais ce que je suggère là-dessus, il y a des spécialistes dans touts les domaines d'activité, alors qu'on les implique en permanence dans la conception des stratégies de développement. Qu'on crée un espace de concertation pour s'y rencontrer régulièrement avec les responsables et discuter des objectifs et des moyens à mettre en place. La décision de développer la culture du maïs dans le Sud a été discutée par qui ? La question demeure posée. -Donc la sphère universitaire n'est pas réellement impliquée dans la prise de décision ? Elle ne l'est pas du tout. Je le dis à haute voix. On favorise le travail avec des cercles étrangers alors que nos propres compétences sont marginalisées. C'est un complexe que nous avons. C'est regrettable lorsqu'on voit que tout le potentiel scientifique, technologique, biologique et autres que nous avons n'est pas utilisé. -Vous suggérez de développer l'agriculture dans le Nord où les ressources hydriques sont plus disponibles plutôt que dans le Sud, mais ne pensez-vous pas que les ressources foncières sont moins importantes dans le Nord ? Le Japon, qui est un pays composé dans sa majorité de fiefs montagneux a plus de 2 millions d'hectares de terres agricoles. Comment ? Parce que dans ce pays, les montagnes sont aménagées en banquettes destinées à développer d'importantes activités agricoles. Chose que nous pouvons faire aussi en Algérie. Si on prend des régions comme la Kabylie, Jijel ou autre, il y a beaucoup de choses qui peuvent y être faites, mais hélas ! Pourquoi développer l'olivier dans le Sud et l'irriguer à longueur d'année alors qu'à Bajaïa ou Tizi Ouzou on n'a même pas besoin de le cultiver, il monte tout seul. Dire que nous allons développer un million d'hectares d'oliviers dans le cadre du programme quinquennal 2010-2014, c'est une foutaise. -Que pensez-vous du système de subvention des grandes cultures comme les céréales ? Je ne pense pas qu'il y a un autre pays au monde qui subventionne comme l'Algérie. La subvention est une arme à double tranchant si elle est mise à sa place, elle a un apport positif mais si elle est donnée à tort et à travers, elle aura des effets contreproductifs. C'est le cas du maïs dont l'Etat promet d'ores et déjà aux producteurs un prix d'achat à 4500 DA/quintal, comme le blé, or sur le marché international il coûte beaucoup moins cher. Dans la conjoncture actuelle, il vaut mieux continuer à importer le maïs que de le produire à Adrar ou El Menea.