Les inquiétudes que suscite la question de la sécurité alimentaire ont débouché sur la reconsidération de l'intérêt accordé au secteur agricole par les pouvoirs publics dont la priorité est désormais l'amélioration de la production locale et l'atténuation de la dépendance vis-à-vis du marché mondial. Certes, ces nouvelles mutations se sont traduites par une nette croissance des rendements, notamment dans certaines filières, comme les produits maraîchers, les céréales ou le lait, mais la durabilité de la dynamique inculquée à ce secteur primaire reste tributaire de la maîtrise des paramètres basiques liés, en amont, à l'exploitation intelligente des ressources naturelles et, en aval, à la consolidation de la chaîne logistique. Dès lors, il y a bien des mythes imputés à l'essor de l'agriculture algérienne qui risquent d'être remis en cause. En premier, le débat sur l'orientation des efforts de développement agricole vers les régions arides et semi-arides du pays mériterait d'être engagé autrement. Des universitaires et experts en la matière viennent de titiller cette question la semaine dernière lors du colloque international organisé à l'ENSA d'Alger (Ecole nationale supérieure d'agronomie) sur le cinquantenaire de la recherche agronomique de l'Algérie indépendante. Des chercheurs venus de plusieurs pays méditerranéens (Algérie, France, Tunisie, entre autres) ont évoqué plusieurs axes qui s'apparentent au défi du développement d'une agriculture durable. Le professeur, Brahim Mouhouch, mettra d'une façon distincte le doigt sur les conséquences de la concentration des efforts de développement agricole dans les régions du sud du pays dans sa communication sur «L'eau virtuelle des produits alimentaires d'importation : un moyen de contrecarrer le problème du manque d'eau en Algérie.» C'est à une sorte de remise en cause de nouveaux paradigmes qui se développent ces dernières années qu'il se livrera dans son exposé, allant jusqu'à suggérer l'importation de produits dont la culture au niveau locale entraînerait d'autres coûts de revient beaucoup plus importants. Cette option ne risque pas de s'avérer moins pertinente lorsqu'il s'agit de la préservation des ressources hydriques dont l'Algérie accuse un déficit qui se creuse d'année en année. De l'utilité des importations ! La communication de ce professeur du département de génie rural de l'ENSA se résume ainsi : «L'Algérie est classée parmi les pays les plus déficitaires en eau. De par son appartenance à la zone géographique du Middle-Est and North Africa (MENA) et la quasi-totalité de son territoire (87%) classée en zone désertique, sa pluviométrie moyenne annuelle varie de 1600 mm dans l'extrême nord-est à 15mm à l'extrême sud-ouest. Néanmoins, la pluviométrie moyenne du territoire, toutes zones confondues, n'est que de l'ordre de 89 mm. De ce fait, l'Algérie est classée parmi les 17 pays qui souffrent le plus du manque d'eau. En effet, avec moins de 500 m3/habitant/an d'eau renouvelable, l'Algérie dispose de moins de 50% du seuil théorique de rareté fixé par la Banque mondiale à 1000 m3/hab./an. Afin d'assurer sa sécurité alimentaire à la fin de la prochaine décennie, il faudra mobiliser entre 15 et 20 milliards de m3/an, tout en sachant que les potentialités du pays ne sont que de 17 milliards de m3/an et que la mobilisation actuelle n'est que de 5 à 6 milliards de m3/an. Etant dans l'impossibilité d'étendre sa SAU (surface agricole utile) et/ou d'augmenter les surfaces irriguées, pour combler le déficit alimentaire, l'Algérie a recours à des importations massives de produits alimentaires, particulièrement les céréales et leurs dérivés. Ces importations, bien qu'elles représentent une hémorragie financière très importante pour le pays, ont au moins un aspect positif représenté par les quantités impressionnantes d'eau virtuelles qu'elles procurent à l'Algérie.» Laquelle thèse a amené le professeur à «dépassionner» le débat sur les importations alimentaires en préconisant de voir leur rôle en matière de préservation des ressources hydriques du pays. Ce qu'il a présenté comme étant le côté le moins négatif, voire même positif, de ces importations alimentaires. Cette thèse peut amener les centres de décision à reconsidérer leur démarche concernant le développement de cultures trop consommatrices d'eau, comme le maïs dont un programme d'intensification dans les régions du Sud vient d'être mis en œuvre, alors que c'est une plante d'été et ses besoins en eau dépasseraient les 6000 m3/hectare. Aller au-delà de la régulation L'autre défi qu'imposent les nouvelles normes de l'économie mondiale se pose au niveau de l'aval agricole, à savoir la maîtrise de l'industrie agroalimentaire et de l'ensemble de la chaîne logistique de la distribution. Abdelhamid Bencharif, professeur-chercheur à l'Institut agronomique méditerranéen de Montpellier (France) reviendra sur cette problématique dans son exposé intitulé «Les systèmes agroalimentaires et l'économie des connaissances : Enjeux actuels et futurs possibles.» Pour ce professeur, «les savoirs et l'innovation ont joué un rôle important dans les mutations profondes des systèmes agroalimentaires qui ont caractérisé le passage d'une économie agricole fondée sur l'autoconsommation à l'économie agro-industrielle contemporaine. La nouveauté réside dans l'accroissement remarquable du capital immatériel et dans la diffusion rapide des nouvelles technologies, qui ont créé une économie fondée sur la connaissance, caractérisée par une accélération du processus d'innovation et du changement technologique, après une période de stabilité du régime fordiste de production.» A l'ombre de ces changements perpétuels, l'Algérie est face à de nouvelles mutations qu'il faudra rattraper comme, entre autres, «l'accélération des processus d'innovation, de fortes synergies entre les nouvelles technologies et leur convergence, la formulation de l'économie de savoir et son intégration dans les politiques publiques (sous l'égide) des institutions internationales comme la Banque mondiale, le PNUD ou l'Union européenne, l'émergence de nouvelles formes d'organisation comme les réseaux et des pôles localisés au niveau des territoires et, enfin, une forte importation accordée à la formation et la connaissance.» En appréhendant la réalité sous cet angle, il s'avère que la question de la sécurité alimentaire en Algérie ne peut être garantie d'une façon pérenne et stable qu'avec l'introduction de ces nouveaux procédés plutôt que de se contenter d'opérations ponctuelles se limitant à l'intervention des politiques publiques contre les ruptures dans la chaîne de la distribution ou les fluctuations spontanées des prix.