L'éthique de la discussion n'est pas un slogan publicitaire mais un sujet de réflexion intellectuelle qui a occupé deux philosophes contemporains majeurs : Karl-Otto Apel et Jürgen Habermas. Nés tous les deux dans les années 1920 (le premier en 1924, le second en 1929), ils arrivent à maturité intellectuelle dans le champ de ruines de l'après-guerre : le premier soutient sa thèse au début des années 1960 sous la direction de Heidegger, tandis que le second devient, à la même époque, assistant de Théodore Adorno. En rupture cependant avec leurs premiers maîtres, les théoriciens de l'éthique de la discussion (Appel et Habermas) ne considèrent pas qu'il faille prononcer, à la suite d'Auschwitz, l'élégie funèbre de la modernité. A l'inverse de Foucault qui considère que « la raison est une torture et le sujet est son agent », Appel et Habermas ne tombent pas dans le désenchantement à l'égard de la raison - conçue par ces détracteurs comme « arraisonnement moderne » du monde. Opérant un retour à la philosophie critique de Kant, ils s'attacheront bien plutôt à défendre le projet de la modernité - d'une modernité critique envers elle-même - et de la raison pratique. C'est dans ce contexte - très grossièrement brossé - que s'inscrit la réflexion sur l'éthique de la discussion. Amorcée en pleine crise des sociétés post-industrielles de la décennie 1970, l'entreprise de ces deux philosophes allemands avait pour ambition d'apporter des réponses à trois problèmes de société : l'hyper-individualisme, la crise de légitimation de l'Etat, la raison instrumentale. Dans les pas de Hegel, ils posent la reconnaissance réciproque comme catégorie de base de la vie en société. Partant de cet axiome fondamental entre tous, ils défendront, chacun à sa manière, le caractère dialogique de la raison. Pour Habermas, cela donnera le modèle procédural de la démocratie délibérative ; pour Apel, l'éthique de la communauté idéale qui correspond à la démocratie. A la différence de la morale qui fixe des fins en référence à un ordre dogmatique, l'éthique de la discussion, plus modeste, se limite aux procédures : son souci premier n'est pas d'établir une hiérarchie de normes nécessaires à la vie bonne, mais de circonscrire les conditions minimales de justice à partir desquelles chacun sera libre de concevoir le mode de vie qui lui sied. Ainsi conçue, l'éthique de la délibération argumentée poursuit par d'autres voies la norme d'autonomie inaugurée par Kant. Mais si tel est bien le cas, l'éthique de la discussion devient à son tour normative. C'est le problème, par trop décisif, de la fondation ultime des valeurs devant régir une société, de surcroît pré-conventionnelle comme cela semble être le cas de la nôtre.