Après d'âpres négociations entre rebelles touareg et gouvernement de transition dans la capitale burkinabé, un accord de paix préliminaire pour la tenue de la présidentielle a été signé le 18 juin 2013. Le Mali en crise s'apprête à élire son nouveau Président. La communauté internationale n'a pas manqué de saluer l'accord. Mais l'incertitude reste de mise pour les Maliens qui craignent des élections bâclées. Pire, un vote sans Kidal, ville du nord toujours hors du contrôle de l'armée malienne. Ces élections sont un véritable challenge pour le Mali. Reportage. Bamako (Mali). De notre envoyée spéciale
Lenteur. A 30 km au sud de Bamako. Sanankoroba. Petite commune en marge du bruit de la ville. Des chaises longues sont disposées dans une baraque en bois où on prépare le thé de la mi-journée. Une semaine avant le début de l'été, la chaleur assomme déjà. 45° C. Alassane arrive en trombe et gare à l'entrée de la baraque. Il descend de sa moto, moyen de transport préféré des Maliens, plus de 200 000 motos pour près de 2 millions d'habitants à Bamako. «Désormais je suis réduit à réparer des toits, à faire les chantiers.» Alassane, la quarantaine, Malien du Nord, retient difficilement son amertume. «Pour quelqu'un qui a passé toute sa vie à l'école, qui a été fonctionnaire, c'est très dur de se retrouver à faire des travaux de force», ajoute-t-il en fixant un point invisible dans l'étendue désertique de Sanankorouba, où il s'est installé tout récemment. «Avant, j'étais enseignant au lycée», lâche-t-il. Avant la crise. Avant la guerre. Alassane, bambara originaire de Ganadougou, a fui Tombouctou le 30 mars 2013 lors de l'incursion des groupes djihadistes sur la ville alors que l'intervention française battait son plein. Comme des centaines d'autres Maliens du Nord, il a tout laissé derrière lui pour mettre sa famille à l'abri. «Je suis parti pour rejoindre ma femme et mes enfants, évacués par des équipes de la Croix-Rouge la veille, au moment même où les tirs avaient commencé», précise Alassane. Depuis, il multiplie les travaux à la tâche pour subvenir à leurs besoins, en attendant la fin de la crise au Nord. «Je pourrais peut-être enfin rentrer chez moi, après les élections.» Pour lui, ce rendez-vous électoral est précieux. Il permettra peut-être au Mali de retrouver la paix. Voter pour 3 milliards d'euros Urgence. J-34 de la présidentielle fixée au 28 juillet prochain. Le Mali en crise s'apprête à élire son nouveau Président dans un contexte de guerre et d'instabilité extrême. La conférence de Bruxelles, tenue en mai sous l'impulsion de la France et de l'Union européenne, a permis de réunir plus de 3 milliards d'euros de promesses d'aide provenant d'une cinquantaine de donateurs internationaux. Cette aide internationale doit permettre la mise en œuvre du plan pour la relance durable du Mali (PRED 2013-2014), conditionnée par la tenue de ces élections. D'où l'urgence. Après d'âpres négociations entre rebelles touareg et gouvernement de transition dans la capitale burkinabé, un accord de paix préliminaire pour la tenue de la présidentielle a été signé la semaine dernière. La communauté internationale n'a pas manqué de saluer l'accord. Mais l'incertitude reste de mise pour les Maliens qui craignent des élections bâclées. Pire, qu'elles se tiennent sans la participation de Kidal, ville du Nord qui reste hors du contrôle de l'armée. Six millions d'électeurs sur une population de 15 millions. 25 000 bureaux de vote devront ouvrir leurs portes au premier tour du scrutin, soit dans un peu plus d'un mois. Au 18e jour du Ramadhan, en pleine saison des pluies. Facteurs défavorables, selon beaucoup de sceptiques. Les candidats déclarés, une vingtaine (la liste des candidatures sera clôturée et validée par la Cour constitutionnelle le 28 juin), devront mener campagne dans ce contexte d'urgence. Et pour couronner le tout, pour la première fois au Mali, l'établissement des listes électorales se fera sur la base d'un fichier biométrique. Un défi dans le défi. Autant de facteurs qui font craindre une très forte abstention. Les doutes sont perceptibles dans les rues. A la station d'essence la plus proche, il faut 2000 francs CFA ( 300 DA) pour le plein de la moto indonésienne baptisée Jakarta, qui fait fureur au Mali. Direction, le centre-ville de Bamako. Le gouvernement redouble d'efforts Agitation. Deux militaires à l'entrée d'un immeuble imposant. Sur le grand panneau, aux couleurs nationales, accroché au mur, la devise de la République du Mali : un peuple, un but, une foi. A l'entrée du ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation en charge de l'organisation des élections, les va-et-vient sont incessants. «Tout sera prêt à temps pour les élections ! Il le faut», commente Djaradou Mamadou, adjudant chef de la Garde nationale, en poste au portique de sécurité. Le ton est donné. En galon vert et en lunette rouge, l'adjudant en chef ajoute : «En bon militaire, il faut toujours s'attendre à tout, mais inch Allah, ces élections se tiendront.» Au deuxième étage, Amadou Billy Soussok, administrateur civil et conseiller technique du ministre, est encore plus formel : «Nous travaillons d'arrache-pied pour que tout soit mis en place et que la présidentielle se tienne comme prévu le 28 juillet prochain.» «Les préparatifs avancent bien», tranche-t-il. «Les cartes Nina sont en cours de préparation, on vient de nous livrer un million de cartes déjà, le reste est attendu pour les jours à venir », explique encore l'administrateur. Le gouvernement de transition redouble d'efforts dans l'urgence. La France, par la voix de son Président, s'est dite «intraitable» sur la tenue de ces élections à la date fixée. «Le Mali sort d'une crise grave, la plus pénible de son histoire. Il est tout à fait normal pour le peuple du Mali d'aller vers ce processus électoral pour mettre en place des institutions crédibles», souligne encore Amadou Billy Soussok (voir entretien). Si le discours officiel se veut rassurant, sur le terrain, le doute subsiste. Menace d'abstention Désordre. Sur les routes de Bamako, le désordre est savamment organisé. Les voitures circulent parfois à contre-sens et les motos se frayent souvent un chemin sur les trottoirs. De part et d'autre de la route, des marchandises de vendeurs ambulants sont piétinées par des passants pressés. «Ces élections sont précipitées, on n'est pas prêts.» Fanta, la cinquantaine, bambara, se penche pour arranger les pyramides de mangues qu'elle a disposées sur le trottoir et poursuit : «Il nous faut certes de la stabilité pour reprendre une vie normale.» Elle relève discrètement son boubou (tunique traditionnelle malienne) qui la gêne et se penche encore une fois pour s'occuper de ses mangues. «Mais si les villes du Nord ne votent pas, ça ne sert à rien !», ajoute-t-elle pour se plaindre tout de suite après de ne plus vendre autant de mangues qu'avant, justement à cause de la crise. «On veut qu'on mette fin à la crise du Nord. A toutes les crises avant de nous organiser des élections», tranche-t-elle d'une voix entrecoupée par le bruit des moteurs. Cinq minutes en moto suffisent pour quitter tout ce brouhaha. ACI 2000, un des quartiers chics de la capitale malienne, sur une terrasse d'hôtel, les ventilateurs tournent à toute vitesse. Ici, on s'inquiète également de la non-participation du Nord aux élections. «Ce serait grave de voter sans Kidal !», commente le serveur en posant des boissons fraîches sur la table. De l'avis de Moussa Cissé, député, ancien migrant de retour, ancien maire de Marena dans la région de Kayes, c'est justement là que le bât blesse : «Les élections auront lieu, parce que tout le monde le souhaite pour une sortie de crise, mais il faut admettre que beaucoup de Maliens n'y participeront pas.» Le député cite les déplacés du Nord-Mali (près de 200 000, ndlr), les réfugiés (175 000 dans les pays voisins, ndlr), mais aussi les migrants très nombreux dans le pays. «Ils ne voteront certainement pas. Mais c'est un handicap avec lequel il faut composer pour le bien du pays», conclut-il. Si le Mali est habitué à un très fort taux d'abstention, cette fois elle risque d'être accentuée par des contraintes techniques. Notamment au nord du pays où l'administration doit se redéployer. Mais aussi pour les centaines de déplacés internes et réfugiés qui ont fui le Nord depuis le coup d'Etat de 2012 et la guerre en 2013. Pas de vote sans Kidal ! Inquiétude. Si les officiels ne cessent de rassurer sur la participation du Nord au prochain scrutin, notamment à Gao, Tombouctou et au nord de Mopti, la population reste sceptique. «Ici à Bamako, ils pourront organiser les élections, mais pas au Nord», tranche Mamadou Sidi Be, peul, gardien au centre ville de Bamako, à quelques mètres du siège de la Commission nationale électorale indépendante (CENI). Un grand immeuble aux couloirs déserts. Aucun employé en poste. «Ils sont tous en réunion», assure une réceptionniste. Ici, aussi, il semble qu'on redouble d'efforts. Mamadou Sidi Be n'a pas bougé entre-temps. «Si l'armée ne se redéploye pas à Kidal, les Maliens refuseront de voter», ajoute-t-il. A côté de lui, Souleimane abonde dans ce sens : «Ce sera très difficile d'organiser ce vote à Gao et Tombouctou, Kidal n'en parlons même pas !» Souleimane pense même que ces élections seront bientôt annulées. «Il y a une impossibilité technique», commente-t-il. D'autres voix contestataires s'élèvent d'ailleurs pour douter de la tenue de ces élections. Il faut encore une fois parcourir le pont des Martyrs qui relient les vieux quartiers de Bamako à la banlieue, sur la rive sud du fleuve Niger, pour rencontrer l'une d'entre elles. Les motos y roulent à toute allure. Les conducteurs, dont beaucoup de femmes, ne portent pas de casque. Balla Kona Re, enseignant en sciences politiques et en droit à l'université de Bamako, membre du comité central du SADI (Solidarité africaine pour la démocratie et l'indépendance), parti politique d'opposition (voir entretien), est intransigeant. Pour lui, «ces élections sont loin d'être une solution pour sortir de la crise que traverse actuellement le Mali. Bien au contraire. Elles risquent même de provoquer une guerre civile !» Lui aussi doute de leur tenue dans les temps. L'incertitude plane. «S'ils parviennent à régler la crise du Nord avant la date des élections, ce serait bien.» Afsatou, la quarantaine, lâche ces quelques mots en bambara sans quitter des yeux le bout de tissu blanc qu'elle brode depuis des heures. «Ce serait grave de voter sans Kidal, mais a-t-on le choix ?», demande-t-elle. Détachée, cette Malienne du Nord, installée à Bamako depuis qu'elle s'est mariée il y a déjà plus de dix ans, semble se sentir en marge de tout. La crise, la guerre, les élections, lui semblent bien loin. «Nous sommes pauvres et nous n'avons pas le choix», ajoute-t-elle comme si son avis importait peu. Des gestes lents et précis. Afsatou brode à demi-assise sur une chaise longue postée à l'entrée de chez elle, tous les jours. La chaleur ne la démotive pas. A quelques mètres, une dizaine de motos soulèvent un nuage de poussière dès que le feu passe au vert. Après les élections, quand la poussière retombera, le Mali saura.