Moi, c'est Hichem Aboud, un Chaoui d'Oum El Bouaghi et un ‘redjla' de Bab El Oued. Ces gens ne me feront pas fléchir !» martèle le directeur de la publication de Mon Journal et Djaridati, un pendentif avec le «Z» berbère autour du cou. Hichem Aboud qui a tenu, hier à la mi-journée, une conférence de presse au siège de son journal, venait de rentrer de l'aéroport Houari Boumediène où il avait été refoulé, quelques heures plus tôt, alors qu'il s'apprêtait à se rendre à Tunis pour participer à une émission de télévision. La PAF lui a signifié, à son grand étonnement, qu'il faisait l'objet d'une «ISTN» : une interdiction de sortie du territoire national. Son avocat, Me Khaled Bergheul, présent à ses côtés, a indiqué que cette mesure ne lui avait à aucun moment été notifiée, son client n'ayant jamais été auditionné. «Hichem Aboud n'est pas sous le coup d'un contrôle judiciaire », insiste-t-il. Même si, sur la forme, la procédure est ubuesque, Hichem Aboud avoue qu'il «s'attend à tout de la part du régime». Depuis son retour au pays à l'automne 2011 après 15 ans d'exil, il subit toute sorte de pressions et parle d'une «escalade de violence» à son encontre. Ses récents déboires ont commencé le 18 mai au soir avec la saisie, à l'imprimerie, de ses deux publications qui consacraient leur «une» à l'état de santé du Président, avec, à la clé, des révélations fracassantes. Le lendemain, une dépêche de l'APS relayait un communiqué du parquet général près la cour d'Alger qui disait : «Suite aux propos tendancieux tenus sur certaines chaînes d'information étrangères, dont France 24, par le dénommé Aboud Hichem, sur l'état de santé du président de la République, selon lesquels il se serait dégradé allant jusqu'à déclarer que le chef de l'Etat serait dans un état comateux, et compte tenu de l'impact négatif direct de ces rumeurs sur l'opinion publique nationale et internationale et eu égard au caractère pénal de ces propos infondés, le parquet général près la cour d'Alger a ordonné des poursuites judiciaires à l'encontre du concerné pour atteinte à la sécurité de l'Etat, à l'unité nationale et à la stabilité et au bon fonctionnement des institutions.» Des arguments qui font rire l'intéressé : «L'Etat algérien serait-il donc fragile au point où une simple déclaration d'un journaliste pourrait porter atteinte à sa sécurité ?» Pour Me Bergheul, c'est une première dans les annales de la justice : «C'est la première fois qu'une procédure judiciaire à l'encontre d'un journaliste est rendue publique par le biais d'une agence de presse. C'est du jamais vu ! Ce procédé est totalement illégal.» Outre cette action du parquet, Hichem Aboud révèle que le pouvoir est passé à une autre phase en lui coupant la publicité institutionnelle afin d'étouffer financièrement son journal. Cette machination est orchestrée, selon lui, par une seule et même personne : Saïd Bouteflika. «L'Algérie est aujourd'hui dirigée par Saïd Bouteflika. C'est lui qui est derrière cette plainte, sinon c'est qui ?» lâche-t-il. Interrogé sur l'éventuelle implication du DRS dans cette campagne d'intimidation, notre confrère – qui fut de 1987 à 1990, rappelle-t-on, un proche collaborateur du général Medjdoub Lekehal-Ayat quand il dirigeait la Délégation générale de la prévention et de la sécurité, une «filiale» de la SM – écarte cette piste : «Ce pays est gouverné par Saïd Bouteflika, qui fait peur au DRS. Gaa ikhafou mennou (ils ont tous peur de lui)» appuie-t-il. A se fier à son analyse, la maladie du Président a renforcé les pouvoirs de son frère et affaibli les autres institutions, y compris l'autorité du général Toufik. Hichem Aboud a tenu à préciser que «depuis le 19 mai et ce communiqué de presse du procureur général, j'ai quitté le territoire national à trois reprises. J'ai été notamment à Genève où j'ai pris part, en qualité d'observateur, à la 23e session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Et j'y serai, je l'espère, en septembre prochain». Hichem Aboud n'a pas manqué d'établir un parallèle avec Chakib Khelil «qui a volé 800 millions de dollars» sans que sa liberté de circulation soit entravée : «C'est lui qu'on aurait dû interdire de quitter le pays, au lieu de quoi, il sort et il rentre à sa guise, avec la complicité des tenants du pouvoir.» Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre Abdelmalek Sellal, Hichem Aboud dit qu'à travers sa personne, «c'est toute l'Algérie qui est humiliée». Et d'ajouter : «Au moment où ceux qui ont dilapidé les deniers publics et sont impliqués dans de scandaleuses affaires de corruption ne sont nullement inquiétés et circulent en toute liberté, un journaliste fait l'objet d'un acharnement administratif, judiciaire et policier dont les auteurs doivent, au moins, expliquer les motivations. C'est en votre qualité de Premier ministre, chargé des plus hautes fonctions en l'absence du chef de l'Etat, que je vous prie de bien vouloir éclairer ma lanterne et celle de l'opinion publique sur les raisons de ce harcèlement et sur ses auteurs, afin que les responsabilités soient situées. Et que cesse l'humiliation de l'Algérie à travers des mesures illégales, en contradiction avec les principes d'un Etat de droit.»