Par ces temps de disette en matière de pensée islamique critique et progressiste, la conférence tenue par le philosophe et islamologue algérien, Mustapha Chérif, invité par l'Observatoire de la Méditerranée, est venue répondre à un besoin pressant du public italien d'en savoir plus sur l'aptitude des musulmans à s'ouvrir aux autres. L'auteur de L'Islam, tolérant ou intolérant ?, publié en mars dernier par la maison d'édition française Odile Jacob, « la même qui a publié le livre de Samuel Huntington Choc de civilisations », nous rappelle l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur, sur un ton entendu. On comprend son souci de s'attarder, si malicieusement, sur ce qui pourrait sembler un détail, tant le débat nourri par les prêcheurs de la « guerre des religions et guerre des cultures » dévoie depuis des années les Européens sincèrement désireux de s'informer sur les questions relatives à l'Islam. Car dans le meilleur des cas, ils se trouvent face à un Tarik Ramadan qui leur tient un discours si ambigu qu'ils s'en détournent sans hésitation. Dans le pire des cas, ils se jettent corps et âme dans les analyses tordues où suinte la haine anti-musulmane et anti-arabe de l'écrivaine italienne Oriana Fallaci. L'Observatoire de la Méditerranée une fondation voulue par l'ancien ministre des Affaires étrangères italien et actuel vice-président de la Commission européenne, Franco Frattini, a décidé cette année de consacrer la deuxième édition de son cycle de conférences au thème brûlant du rôle de la critique interne à l'Islam et des hommes porteurs de message innovateur, dans le rapprochement entre monde musulman et Occident, donnant ainsi la parole aux « nouveaux penseurs de l'Islam ». Le choix de l'Institut italien pour l'Afrique et l'Orient (Isiao), pour abriter la conférence « L'Islam, l'Occident et les défis communs », ne pouvait être plus opportun, car ce centre universitaire abrite des milliers d'ouvrages précieux et uniques de la culture africaine et arabe, aujourd'hui patrimoine italien, et dont certains sont en cours de restauration. RESPONSABILITE PARTAGEE Invité à en consulter certains, gardés dans de véritables coffres-forts, lors de sa visite romaine, Mustapha Chérif n'a pu réprimer son émerveillement et son émotion en feuilletant, notamment des copies du Coran transcrites à la main dans la belle calligraphie kufi, et qui datent du VIIIe siècle. Dans la salle de conférences, ornée de tableaux de peintres orientalistes, un silence religieux a régné durant l'intervention de l'ancien ambassadeur d'Algérie au Caire, qui a choisi de baser son discours sur l'interrogation : « Pourquoi l'Islam est-il visé par la thèse du choc des civilisations ? » L'introduction, animée par l'ancien ambassadeur d'Italie à Téhéran, Riccardo Sessa, directeur général du département chargé des relations avec les pays de la Méditerranée et du Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères. « Un véritable tsunami a été créé autour d'un problème qui n'existe pas. (...) Les grandes civilisations ne s'affrontent pas entre elles, elles se respectent et tentent de se comprendre », a expliqué le représentant de la diplomatie italienne. Pour sa part, l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur, en fin pédagogue, et pour mieux convaincre son auditoire, n'a pas manqué d'avertir son public : « Il ne s'agit pas d'un Islam d'élite ni d'un Islam d'hier. » Insistant sur le fait que la responsabilité est partagée, dans cette cacophonie et incompréhension qui règnent désormais dans les rapports entre musulmans et Occidentaux, M. Chérif a désigné les « usurpateurs, ceux qui exploitent à des fins politiques la religion, ceux qui prônent des pratiques archaïques dans certains pays arabes et musulmans » comme étant les coupables des « amalgames et simplifications ». Se référant à son livre L'Islam, tolérant ou intolérant ?, qui sortira en septembre prochain en Italie, le conférencier algérien affirme que de nos jours, « penser est remis en cause. Encore plus penser autrement ». Rappelant que les « relations humaines et sociales en Islam se fondent sur le binôme piété/équité. Aucune supériorité n'est admise, ni celle de la puissance, ni celle de la race, ni celle du nombre », M. Chérif dénonce aussi bien « ceux qui accusent sans cesse l'Occident de tous les maux sans pratiquer l'autocritique » et ceux qui « stigmatisent les musulmans, pratiquent l'amalgame et cherchent un bouc émissaire à leurs propres impasses, en exploitant les dérives des nouvelles monstruosités que sont l'extrémisme politico-religieux et le terrorisme des faibles ». En conclusion de la rencontre de l'Observatoire de la Méditerranée, son secrétaire général, le Tunisien Mohamed Aziza a lancé en direction de son invité algérien : « On ne pouvait mieux inaugurer ce cycle des conférences. Vous avez été l'homme juste, à la place juste. » L'ambassadeur de Tunisie en Italie, Habib Mansour, présent lors du débat, a spontanément pris la parole, lui aussi, pour souligner, « la pertinence du discours de Mustapha Chérif », qui, selon le diplomate, « éclaire la voie du dialogue et éloigne la confusion, surtout pour concilier entre le droit à l'existence dans le respect mutuel et la convivialité. Encore davantage pour une modernité assumée et non source de dépersonnalisation ».