«Nos problèmes sont avant tout d´ordre politique, qu´on veut assimiler à la religion. On n´est pas la meilleure communauté» affirme notre islamologue. Ancien ministre de l´Enseignement supérieur, ancien ambassadeur au Caire, Mustapha Chérif est penseur, islamologue, spécialiste du dialogue des cultures, des religions et des civilisations, docteur d´Etat ès lettres, professeur à l´université d´Alger et à l´Institut diplomatique, il est, comme il le dit, invité dans plusieurs universités du monde afin d´animer des conférences, notamment récemment aux USA où fait-il cette remarque pertinente qui donne le «la» à cette rencontre: "Là bas, il n y a pas de cloisonnement. Toutes les disciplines se côtoient..." C´est fidèle à ses préceptes d´ouverture et de tolérance que notre penseur, qui a rencontré il y a deux ans le pape Benoît XVI, est venu à nous, dimanche dernier - quand il n´est pas entre deux avions - pour animer une conférence à la Bibliothèque nationale du Hamma autour «du centrisme dans la pensée islamique». Dans un monde de «décadence» selon ses termes, flanqué d´absence de repères identitaires en sus du silence ambiant qui règne à notre époque et dans notre pays, il est temps selon lui d´aborder les questions ou les problèmes fondamentaux auxquels nous sommes confrontés aujourd´hui. «La culture craint le vide» d´après lui. Et de renchérir: «Le milieu ce n´est pas seulement ce qui est considéré comme meilleur mais comme le modèle, la référence par excellence, a fortiori dans notre religion, l´unique Dieu, et où le modèle c´est le Coran relayé par le Prophète, étant donné que la vision essentielle de la vie est ici donnée par Dieu.» Au vu de l´avenir incertain dans lequel nous pataugeons amarrés à une société exempte de projet social conséquent et clair, quelle est notre vision du monde à nous, le modèle que l´on se fabrique, par rapport à soi, à l´autre et dans le monde? se demande t-il. Mustapha Chérif parle d´interdiction de l´idolâtrie comme mentionné dans le Coran, bannissant ainsi l´intégrisme. Et d´indiquer la notion de révélation. Selon lui, le Coran est venu «pour nous responsabiliser, éveiller et libérer notre esprit, non pas pour nous ligoter». «le Coran est un livre ouvert. Avant de se dire qu´il y a plusieurs interprétations, il faut lire ce qu´il dit d´abord, le juste milieu...» Et de déclarer dans une sorte de sentence de non-retour: «En réalité, on n´est pas la meilleure communauté, même si l´Islam prône la légitime défense, le respect d´autrui, faire du bien et non pas le mal, les trois messages de Dieu ne sont pas tous complètement observés.» L´autre, selon Mustapha Cherif, se doit d´être considéré comme mon semblable. Le message universel adressé par le Coran à l´humanité n´est pas appliqué, d´autant plus que notre Islam ne reflète pas cet équilibre. «Il est instrumentalisé soit par des antireligieux, soit par des ignorants. Les fondements de notre vie sont ébranlés. On a tous les atouts mais on nous regarde comme les derniers tarés de la planète» souligne Mustapha Cherif devant une salle bien attentive. Comme Ibn Arabi, l´homme des dialogues, Mustapha Chérif affirme que l´être est mis à l´épreuve sur trois axes: la présence/ absence, la révélation puis l´épreuve de droit à la différence. «l´Islam dit que les autres ont aussi une part de vérité. Comment éduquer nos enfants? est-ce en interdisant et se refermant sur l´autre? Nos contradictions sont amplifiées. Nous sommes colonisables sous de nouvelles formes» une phrase lâchée qui a de lourdes significations a fortiori quand «l´équilibre social» se voit dénaturé, mis à mal par des désaliénés qui font du Coran leur fonds de commerce...L´auteur de l´Islam tolérant ou intolérant? affirme tout haut que nos problèmes sont avant tout d´ordre politique et qu´on veut les assimiler à la religion. «C´est elle qui en pâtit» Et de s´interroger: «Faut-il répondre en indiquant à l´autonomie de l´individu, par la séparation du religieux de la politique, dans un pays qui manque d´Ijtihad?» Et de relever encore une fois: «Nous sommes confrontés à nos propres archaïsmes, avec un sentiment de lassitude profond.» Si jadis le peuple algérien avait comme modèle de lutte l´Emir Abdelkader, qu´en est il aujourd´hui? «Nous n´avons personne», soutient-il avant de clore cette riche conférence par cette phrase ô combien sage mais haute en symbolique: «Pas d´intégrisme mais intégrité du coeur!». Si cette conférence a eu le mérite d´évoquer un sujet des plus sensibles à l´image des causes de la dérive vers laquelle les Algériens ont basculé ces dernières années, il est à regretter cependant le manque d´exemples concrets à même d´illustrer les propos de cette communication, fort bien éloquente certes, mais qui se gardait de faire l´analyse en restant bien diplomate, sans renfort d´arguments palpables. C´est dommage. Ce sujet aurait capté plus l´intérêt du public s´il avait été abordé de front et non pas en étant effleuré. Mais il est vrai que le thème de la conférence se situait autre part. Non pas dans le politique mais dans le religieux. Mais ces deux thèmes sont-ils vraiment indissociables chez nous? Un intervenant a, en outre, bien synthétisé la chose en faisant remarquer, à juste titre, que notre problème aujourd´hui se situe au niveau du "savoir", qui arrive souvent après "l´avoir" qui est mal prodigué, mal véhiculé, ce qui conduit forcément vers le côté obscur...