Désintégration. Ahmed Djouder est très en colère. N'allez pas lui parler de politique migratoire, de l'intégration, de l'aide au retour pour les chibanis. Evitez d'attiser sa révolte. Car Ahmed Djouder est révolté. Sans ressentiment, mais avec un humour ravageur. so british. C'est cette distance qui lui permet de ne pas sombrer dans la déprime. L'ironie salvatrice lui permet d'adoucir son regard sur ses compatriotes, ses frères d'âme. Ses phrases sonnent justes, percutantes. « Nos parents ne joueront jamais au tennis, au badminton, au golf. ils n'iront jamais au ski. ils n'assisteront jamais à un concert de musique classique. ils ne posséderont jamais de leur vie un appartement ou un petit foyer quelque part en France où finir leurs jours tranquillement. Non, ils ont préféré investir dans des maisons au bled, en ciment, au prix de plusieurs décennies de sacrifice, qui ressemblent vaguement à des cubes qu'ils appellent des villas. » Son humour est plus proche de Desproges que de Coluche. « Les Arabes aiment les enfants ! Surtout quand ils sont bébés, enfin disons jusqu'à trois ans. Après, ils perdent patience. Le bébé algérien, dans la tête de nos parents, le bébé dont ils rêvent est un bébé magique : silencieux et obéissant et souriant, dodu sans être gourmand. » Très en verve, il décrypte avec beaucoup de talent les travers de la communauté algérienne en France. Parce que, enfin, les Algériens de France n'ont fait qu'emporter avec eux dans leurs valises les traditions ancestrales. Et si conflit il y a entre les générations, ce n'est pas aux « Marlboro », première génération de s'y adapter. « Ces vieux Arabes sont tout gris. Ils sont tristes. Ils sont fades. Ils font peur. Ils ressemblent à des zombies. Ils ont tous la même tête, la même couleur, presque. En temps normal, ils traînent leurs savates dans les magasins, ils tuent le temps dans les bars, devant la télé, ils achètent leur petit camembert et leur demi-baguette chez l'épicier. » Et quelques fois, la gravité n'est pas très loin. « Il y a Vous, les Français, et Eux, nos parents. Et Nous, leurs enfants. Nous avons vingt ans, trente ans, quarante ans, cinquante ans. La tristesse de nos parents nous a intoxiqués. Leur refoulement de l'Algérie, leur renoncement a réduit notre identité comme une peau de chagrin. Notre identité est flinguée. » Ou encore, cette fois plus dans l'actualité. « Il faut cesser d'excuser ces hommes politiques, ces intellectuels et ces historiens paranoïaques qui s'emportent, qui trahissent leurs véritables pensées par des propos obscènes et inacceptables en nous qualifiant d'ingrats, de brigands, de criminels, de racailles, de racistes anti-Blancs, de semeurs de terreur, de bêtes sauvages à domestiquer, de barbares, de tyrans, d'antisémites, de terroristes en puissance. » Ahmed Djouder ne désespère pas pourtant de son pays. Avec rage, optimisme, il revendique sa place dans une France multiple.