Jeudi 6 septembre. Centre de loisirs de la mutuelle des matériaux de construction, Zéralda. C'est ici que se tiennent les assises du 4e congrès du FFS. Il est un peu plus de 9h et le parking attenant au centre est déjà noir de voitures. La littérature du FFS tapisse tous les murs. « Pour une Algérie libre et heureuse », « Le FFS : une conviction au service de la paix et de la démocratie », « Novembre, Bandoeng, Soummam, GPRA : nos repères sur les chemins de la liberté », « Pour une mondialisation de la paix, de la démocratie et de la justice sociale » entonnent quelques banderoles pavoisant l'entrée du centre. Sur une affiche géante, un portrait de Hocine Aït Ahmed assorti d'une longue déclaration du chef historique. Les quelque 900 congressistes conviés à ce grand festival organique — dont 800 élus directement par la base militante — sont en effervescence sous un soleil doucereux. La cafet' est bondée de militants. Les organisateurs sont à pied d'œuvre pour mettre tout ce beau monde en place. Une pléthore de journalistes est déjà sur le starting-block. Les photographes sont postés en force à l'entrée pour accueillir les invités. Première personnalité nationale à faire son apparition : Youcef El Khatib, l'ancien historique de la Wilaya IV et candidat à la présidentielle de 1999. Vers 10h arrive une autre personnalité : Cherif Belkacem, ancien ministre de l'Orientation nationale sous Boumediène. Il est accompagné de Abdelkader Khomri qui fut ministre de la Jeunesse et des Sports sous le gouvernement Abdesselam. 10h10. Abdelhamid Mehri, l'ancien secrétaire général du FLN, arrive à bord d'une Hyundai grise. Il est de suite pris d'assaut par une cohorte de sympathisants. Il est suivi de près par Karim Tabbou, le premier secrétaire sortant. 10h38. Un autre poids lourd fait son entrée à bord d'un véhicule Peugeot 607 : Mouloud Hamrouche. L'ancien Premier ministre sous Chadli et chef de file des réformateurs aura du mal à se frayer un chemin jusqu'au salon d'honneur où seront, du reste, installés tous les invités du FFS. Parmi ceux-ci également, il nous faudrait citer Abderrahmane Chibane, ancien ministre des Affaires religieuses. Il convient de mentionner, par ailleurs, la présence de divers représentants du monde associatif et syndical : Rachid Malaoui, secrétaire général du Snapap, Hakim Addad, secrétaire général de Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), ou encore Ali Merabet, président de l'association Somoud des familles des victimes enlevées par les groupes armés. On n'omettra pas de signaler le défilé de plusieurs voitures au matricule diplomatique dont celle de Son Excellence l'ambassadeur palestinien à Alger. Ce 4e congrès a d'ailleurs été dédié au peuple palestinien. En outre, il est utile de souligner la présence très remarquée de plusieurs anciens premiers secrétaires du parti : Ahmed Djeddaï, Djoudi Mammeri ou encore Ali Laskri. En revanche, les chefs de partis brilleront par leur absence et cela n'a rien d'une désinvolte omission : ils ont été tout bonnement ignorés. « On n'est pas dans les mondanités », lance, cinglant, le très sémillant M. Aïssat, membre de la commission nationale de préparation du congrès. Karim Tabbou nous dira en aparté : « Nous n'avons que faire du ‘‘pouvoir wa mouchtaqatouhou'' (le pouvoir et ses dérivés. » Moins plaisamment, il déclarera dans un point de presse tenu hier en qualité de porte-parole officiel du congrès : « La question a été soumise à débat. Nous ne voulons pas être complices de l'illusion d'une classe politique mystifiée. Le 17 mai, le peuple a tranché. » Pour compenser, une invitation a été adressée à plusieurs formations étrangères dont M. Ould Dada, président du Rassemblement des forces démocratiques mauritanien et candidat à la dernière élection présidentielle à Nouakchott. Il y a aussi Philippe Cordery, représentant du Parti socialiste européen. « Plusieurs délégations n'ont pu faire le déplacement, le régime ayant refusé de leur octroyer le visa. La délégation marocaine a subi un véritable interrogatoire à l'aéroport d'Alger », déplore Karim Tabbou. Ovation pour le Zaïm 10h50. Un cortège franchit en trombe le portail de la mutuelle. Un véhicule noir tout-terrain de marque Kyron s'en détache. A son bord, le très attendu Hocine Aït Ahmed. Une foule compacte immobilise aussitôt le véhicule. Hourrahs. Bousculade. « Aït » aura du mal à descendre. Il salue d'une main fébrile les photographes qui le mitraillent de leurs appareils. Un cordon se sécurité se forme autour de lui. Le président du FFS mettra dix minutes avant de pouvoir rejoindre ses invités au salon d'honneur. Des applaudissements fusent. Des voix scandent : « Assa, azeka, le FFS yella yella ! » Un vieux militant, badgé « ancien de 63 », s'écrie : « Ecartez-vous si vous l'aimez ! On n'a pas besoin de photos. Depuis 1962, on se fait photographier ! » Karim Baloul, neveu d'Aït Ahmed et secrétaire national (sortant) aux relations internationales, est très actif en coulisses. 11h30. Aït Ahmed sort après une quarantaine de minutes passées avec ses hôtes. Il se dirige d'un pas solennel vers la salle principale. Celle-ci est pleine comme un œuf, servie par une scénographie où l'on peut distinguer une grosse affiche du leader charismatique et des banderoles reproduisant les slogans officiels du congrès. Un écran avec datashow diffuse des images de la salle. D'intraitables vigiles trient scrupuleusement les entrées. Pas de badge, pas d'accès. L'arrivée du zaïm est accueillie par une salve d'applaudissements à tout rompre. Tous les regards sont tendus vers le « patriarche » élégamment vêtu (costume gris sur chemise blanche avec une cravate saumon). Le président du FFS prend place auprès de Hamrouche, Mehri et Cherif Belkacem. La cérémonie d'ouverture peut enfin commencer. Le congrès est étrenné par une version longue de Kassaman suivie d'une minute de silence à la mémoire des chouhadas et « des martyrs de la démocratie ». L'émotion est très forte. Une chorale interprète une chanson poignante de l'immense Cherif Kheddam à laquelle succède un poème sonore de Moufdi Zakaria. Passé le quart d'heure proprement cérémonieux, place à la rhétorique. Mais, d'abord, un détail organique : la salle élit à l'unanimité le bureau du congrès dont la présidence est confiée à Mohand Amokrane Chérifi, ancien ministre du Commerce et expert international qui a beaucoup travaillé pour l'ONU. Sans plus tarder, M. Chérifi donne la parole à celui que les militants attendent d'écouter depuis une semaine : leur mentor Hocine Aït Ahmed. Son discours de onze feuillets remet les pendules à l'heure (lire le compte-rendu de Madjid Makedhi). Au terme de son intervention, Aït Ahmed a droit à une standing ovation de la part d'une assistance totalement acquise qui martèle à l'unisson : « Da l'Hocine, mazalna mouâridhine. » Mehri puis Hamrouche lui emboîtent le pas. Les deux ténors achèvent d'enflammer la salle par des laïus aux accents virulents qui sonnent la révolte. Hamrouche lâchait à un moment donné : « Ce pouvoir n'a aucune couleur. Il n'a pas d'identité. » Il a parlé des harraga. Et la salle de scander : « Pouvoir assassin ! » Mehri appelle énergiquement au départ du régime. Chauffée à bloc, la salle est un chaudron militant. Un vent de liberté souffle sur Zéralda. Avant de lever la séance d'ouverture, Chérifi cite une liste d'intellectuels et de personnalités très en vue qui ont tenu à exprimer leur soutien aux congressistes à travers des messages d'amitié : Mohamed Harbi, Jean Daniel, Ghazi Hidouci, Sadek Hadjeres ou encore Addi Lhouari. Dans le même ordre d'idées, relevons la présence fort symbolique de l'historien et directeur de la revue Naqd, Daho Djerbal. « Les susceptibilités au vestiaire » Le ton est donné. Les travaux démarrent sur les chapeaux de roues. Trois ateliers avaient été préalablement mis sur pied : un atelier « Statuts et chartes », un autre « Stratégie politique » et un troisième sur les « Objectifs du millénaire » consacré aux questions économicosociales. Des ateliers qui donneront lieu à des débats très pointus, très relevés, à l'ombre de l'effigie du défunt Ali Mecili, et qui auront permis l'enrichissement des recommandations proposées par chaque commission. Outre les ateliers, il avait été procédé à l'élection du conseil national. Le « clou » du congrès, c'était évidemment l'élection — toute formelle — du président du parti. Aït Ahmed sera, en l'occurrence, ardemment plébiscité avant même le déroulement de l'opération. De son côté, le président du FFS n'avait pas manqué de déclarer dans son discours d'ouverture à l'adresse des militants : « Pour ma part, je suis disponible et je suis prêt à vous servir. » Un petit ballon sonde lancé dans les travées de ce 4e congrès nous a permis de mesurer d'emblée la bonne cohésion qui a régné entre les militants et l'absence de toute contestation. « Je suis aujourd'hui un homme heureux. Constatez par vous-mêmes dans quel climat de sérénité se sont déroulés les travaux », lance, euphorique, Karim Tabbou, prenant à témoin les journalistes lors de son point de presse. Approché pour donner son appréciation de l'événement, l'ancien premier secrétaire Djoudi Mammeri saluera en premier lieu la « lucidité des trois interventions » (comprendre celles du trio Aït Ahmed, Mehri et Hamrouche) en lesquelles il a retenu « un discours de rupture et de refondation ». « Nous avons entendu des mots crus, des mots virulents. J'ai senti comme une radicalisation chez les uns et les autres », note-t-il. Cela pourrait-il trouver une expression politique plus structurée sur le plan de l'action ? L'ancien premier secrétaire préfère ne pas s'avancer sur la question. Pour ce qui est de la fronde, Djoudi Mammeri fera observer qu'il y a de la « retenue » et « un esprit responsable qui fait que les militants mettent leurs susceptibilités au vestiaire ». « Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dysfonctionnements », prévient-il. Pour sa part, Ahmed Djeddaï, tout en faisant montre d'une grande disponibilité à l'égard des congressistes et de la presse, a préféré laisser son commentaire pour l'après-congrès tout en se disant prêt à répondre présent en tant que militant s'il est fait appel à ses services. Pour Rachid Halet, éminence grise et figure de proue du FFS issu de la Fédération de Tizi Ouzou mais qui se pavane sans carte de militant, préférant le statut d'« électron libre », comme il dit, ce congrès s'annonce plutôt sous de bons auspices. M. Halet a tenu à souligner d'entrée l'effet « émotionnel » de la présence de Aït Ahmed « au-delà de tout panégyrique ». Tout en relevant lui aussi une concordance des points de vue entre les trois ténors, des rapprochements qui s'étaient déjà manifestés, insiste-t-il, avec force par le passé, notamment au meeting de Aïn Bénian de novembre 2004, il a retenu cette phrase lourde de sens de Abdelhamid Mehri qui voit dans le FFS « un prolongement du mouvement national ». Concernant l'initiative politique tant de fois annoncée, Rachid Halet estime qu'il y a « une convergence stratégique qui appelle une convergence tactique » en vue de traduire cette disponibilité sur le terrain. Pour lui comme pour Tabbou, l'un des enjeux de ce congrès était l'ouverture du parti en prévision des échéances qui se profilent, à commencer par les locales du 29 novembre. « Il y a une volonté de transcender l'action partisane », dit-il, tandis que Tabbou parlera d'un « primat du politique sur l'organique ». De son côté, M. Aïssat dira : « La force du FFS est dans sa dynamique populaire », entendre « contre une politique d'apparat ou d'appareil », avant de lancer que le vent de contestation soulevé çà et là « n'est que de l'écume ».