Depuis le dépôt par l'armée égyptienne du président Morsi, observateurs et politiques ne cessent de spéculer sur l'impact de cette décision en Tunisie. S'il est acquis que l'Egypte a connu le renversement populaire d'un chef d'Etat démocratiquement élu et la suspension d'une Constitution validée par référendum, nul ne peut nier le rejet massif par le peuple de ce pouvoir, si l'on se réfère aux marées humaines descendues dans les rues pour le contester, en plus du fait que les pro-Morsi, réunis à la place Rabiaâ Adawiya, ne constituaient même pas le vingtième des contestataires. «Le peuple égyptien a retiré sa confiance à son Président. C'est un désaveu populaire cuisant. Nul ne peut gouverner après ces grandes manifestations de rejet», constate Lazhar Akermi, l'un des dirigeants du principal parti de l'opposition en Tunisie, Nidaa Tounes. Restent les moyens : ce «putsch populaire» ne fait pas l'unanimité. «Mais nul ne peut contester l'aspect populaire de cette décision. Il ne s'agit nullement d'une conspiration de généraux», observe-t-il. Pour ce qui est de son impact en Tunisie, Akermi pense qu'«Ennahdha est une branche des Frères musulmans en Egypte. La photo de Rached Ghannouchi figure au siège central de la confrérie parmi la liste des dirigeants internationaux du mouvement. L'impact est donc évident». L'interrogation est toutefois légitime sur la portée de l'onde de choc égyptienne en Tunisie, surtout que les processus tunisien et égyptien ne sont pas similaires. En Tunisie, il y a une Assemblée nationale constituante, qui représente l'autorité de référence selon l'organisation provisoire des pouvoirs, petite Constitution en vigueur en Tunisie. Il existe, de plus, une Constitution en cours de rédaction et des institutions en voie d'établissement pour les prochaines échéances électorales, ce qui n'est pas le cas en Egypte où le conflit entre la présidence de la République et la Cour suprême a littéralement vidé le pays d'instances de gouvernance, en annulant les élections de l'Assemblée du peuple, aidant Morsi à instaurer une dictature. Désillusion Ce qui a le plus marqué la situation en Egypte, ce sont les marées humaines qui ont envahi de manière spectaculaire les rues et les places du pays pour demander le départ de Morsi. Nul ne pourrait prétendre à la légitimité avec tout ce peuple contre lui, même s'il s'agit d'un Président qui a été élu de manière démocratique. L'armée égyptienne n'aurait d'ailleurs pas pu déposer le Président si elle n'avait pas tout cet aval du peuple. Elle n'a finalement fait qu'éviter une fin de non-recevoir à cette requête populaire. C'est ce que ne cessent de répondre les défenseurs de la déposition de Morsi. Qu'en est-il pour la Tunisie ? Il y a deux niveaux d'évaluation de la situation tunisienne. Sur un premier plan, la troïka gouvernante en Tunisie et, particulièrement, les islamistes d'Ennahdha, cumulent les erreurs de gouvernance et attisent l'insatisfaction populaire, aboutissant à une situation telle que les espoirs, nés de la révolution du 17 décembre/14 janvier, sont en train de fondre. D'où la désillusion qui commence à s'installer parmi ceux qui ont détrôné Ben Ali et prétendu à la liberté et la dignité. Sur un autre plan, les islamistes d'Ennahdha continuent à manipuler la scène politique, bénéficiant de leur majorité relative à l'Assemblée nationale constituante. Ils peuvent manœuvrer dans la mesure où l'opposition est faible et divisée, alors que la rue s'est essoufflée. C'est toute la question qui se pose aujourd'hui en Tunisie : la rue tunisienne pourrait-elle être suffisamment gonflée à bloc pour demander le départ des islamistes d'Ennahdha ?