Les autorités libyennes sont en train de payer cash leur «compagnonnage» avec les milices ayant combattu en 2011 le régime de Mouammar El Gueddafi. Le poids de ces groupes armés dans l'architecture sécuritaire libyenne est aujourd'hui tellement important qu'elles n'arrivent plus à les contrôler. L'inconvénient est que certains de leurs chefs – qui étaient considérés il y a encore une année comme des héros – s'inscrivent désormais dans des logiques mafieuses et n'hésitent plus à recourir aux armes pour défendre leurs intérêts et imposer leur diktat à toute la société. Avec le temps, ils sont devenus la source de tous les maux du pays. Le problème est qu'en face, les nouvelles autorités ne disposent d'aucun moyen de riposte. Pour dénoncer cet état de fait qui bloque et discrédite les institutions, y compris celles qui ont été élues démocratiquement, l'Alliance des forces nationales (AFN, libérale), principale force de l'Assemblée nationale libyenne, a annoncé, jeudi, qu'elle suspendait partiellement sa participation aux travaux de l'Assemblée. «Le comité directeur (...) a décidé de suspendre la participation de l'Alliance au Congrès général national (CGN), sauf en ce qui concerne les travaux de préparation de la loi électorale qui doit régir l'élection d'un comité de rédaction de la Constitution», a indiqué l'AFN dans un communiqué adressé à la presse. L'AFN, qui a remporté les élections législatives du 7 juillet 2012 avec 39 sièges sur 200, mais a échoué à parvenir aux postes-clés du pouvoir, affirme ainsi qu'elle ne «pourrait plus continuer dans une mise en scène politique dirigée par le pouvoir des armes et non par la volonté de l'électeur». Cette décision a pour effet immédiat de plonger la Libye dans une crise politique dont l'issue demeure incertaine. L'AFN a par ailleurs mis en garde contre les violences qui secouent le pays et qui «illustrent clairement et dangereusement une déviation du processus de la révolution» libyenne. Dans la foulée, les leaders de l'AFN, visiblement mécontents aussi du fonctionnement du CGN, ont dénoncé l'adoption d'une loi controversée sur l'exclusion politique des anciens collaborateurs du régime déchu de Mouammar El Gueddafi, votée sous «la pression» de milices armées dont certaines sont présentées comme étant d'obédience islamiste. L'AFN avait estimé alors que cette loi avait été conçue sur mesure pour exclure son chef, Mahmoud Djibril, qui était président du Conseil économique et social du temps du colonel El Gueddafi. Selon Taoufik Al Chehibi, président du bloc de l'AFN au Congrès, l'Alliance réclame essentiellement une «feuille de route» pour mettre fin à la période de transition. Il a précisé que le CGN, la plus haute autorité politique et législative du pays, devrait être dissous le 8 février 2014, selon la déclaration constitutionnelle qui régit la période de transition. Le ministère de l'Intérieur assiégé Sur le terrain, la situation était encore des plus délétère hier à Tripoli. Le ministère libyen de l'Intérieur était toujours fermé par un groupe armé qui réclame la dissolution de la Haute Commission de sécurité (HCS), une force d'ex-rebelles, relevant de l'Intérieur. Des monticules de sable étaient placés devant l'entrée du ministère, tandis qu'au moins un pick-up équipé d'un canon anti-aérien était positionné devant le siège du ministère situé sur la route de l'aéroport de Tripoli. Le ministère de l'Intérieur a condamné, dans un communiqué publié mercredi soir, l'attaque contre son siège par «une brigade baptisée Al Sawaegh dépendant du ministère de la Défense», appelant les assaillants «à faire preuve de sagesse (...) et de rejeter l'usage de la force». Ces incidents répétés laissent penser qu'une lutte d'influence oppose actuellement certains cercles au pouvoir. Une lutte dont les enjeux ne sont pas encore tout à fait clairs. Pour en revenir aux faits, le ministère libyen de l'Intérieur a précisé que «le groupe armé s'était introduit (mardi soir) dans les bâtiments demandant au personnel de quitter les lieux et menaçant d'utiliser les armes». «Ils ont barré les entrées du ministère avec des monticules de sable avant de fermer les portes avec des chaînes. La force d'intervention du ministère de l'Intérieur a provoqué un échange de tirs avec le groupe armé au cours duquel deux policiers ont été blessés», précise le ministère qui indique que «les assaillants sont revenus pour arrêter 8 agents de sécurité». A Benghazi, capitale de la Cyrénaïque, le topo est tout aussi chaotique et dangereux. Le consul honoraire français à Benghazi dans l'Est libyen, Jean Dufriche, a échappé jeudi soir à une tentative d'assassinat. Ce n'est pas tout. Le chef du conseil militaire local, l'aile militaire des partisans du fédéralisme dans l'est de la Libye, a été également blessé par balle le même jour dans une tentative d'assassinat. Ses deux accompagnateurs ont été tués dans l'attaque, menée par un «groupe d'inconnus», a déclaré Mohamed Al Hijazi, porte-parole des services de sécurité à Benghazi. Les partisans du fédéralisme dans l'est du pays maintiennent la pression sur le gouvernement pour tenter de mettre fin à la marginalisation dont ils se disent toujours victimes, même après la chute du régime de Mouammar El Gueddafi en 2011. Des partisans du fédéralisme avaient d'ailleurs proclamé le 1er juin l'autonomie de la Cyrénaïque «dans le cadre de l'Etat libyen», sans toutefois que des mesures concrètes soient mises en place. Ils avaient plaidé pour un Etat fédéral, où les provinces (Tripolitaine à l'ouest, Cyrénaïque à l'est et Fezzan au sud) seraient dotées d'une large autonomie, comme c'était le cas dans les années 1950, sous la monarchie.